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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/188

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CHAPITRE XVI.

L’esprit mordant des habiles aura beau jeter du ridicule sur les dissertations de M. Dale, ces dissertations produisirent néanmoins un effet considérable et très-salutaire sur l’esprit de Lonard Fairfield ; ce résultat étonnera moins le lecteur, s’il se rappelle que Léonard était tout à fait étranger à la tactique de l’argumentation, et conservait plusieurs des préjugés inhérents à sa première éducation. Il songea que Ricabocca et M. Dale, ayant plus du double de son âge, et ayant eu l’occasion non-seulement de lire bien plus de livres que lui, mais de recueillir une plus grande expérience dans le cours de leur vie, il songea, dis-je, qu’il pourrait bien se faire qu’ils connussent mieux que lui la nature et le but de la science. En tous cas, les paroles du curé étaient venues on ne peut plus à propos, car elles placèrent l’esprit de Léonard dans l’état où M. Dale désirait le voir avant de lui annoncer la saisissante nouvelle qu’il devait aller faire une visite à des parents qu’il n’avait jamais vus et dont il n’avait que très-rarement entendu parler, et de lui apprendre que cette visite pourrait lui faciliter les moyens de s’instruire et l’aider à s’élever dans le monde.

Léonard, s’il n’eût été ainsi préparé par le curé, fût peut être entré dans le monde avec une idée exagérée de ses connaissances acquises, et avec une opinion plus exagérée encore du pouvoir que lui donneraient ces connaissances.

Lorsque M. Dale lui eut fait sa révélation, en cherchant à le prémunir contre des déceptions, Léonard reçut la nouvelle avec douceur et gravité.

Quand la porte se fut refermée sur les visiteurs, il resta pendant quelques instants immobile et plongé dans une profonde rêverie ; puis il ouvrit la porte et s’élança dehors. La nuit était déjà très-avancée ; les cieux étincelaient de mille clartés. « Il me semble, dit plus tard le jeune homme en se reportant à ce moment décisif de sa vie qui avait décidé de son sort, il me semble que ce fut alors que seul, bien qu’entouré de mondes infinis, je sentis pour la première fois la distinction qui existe entre l’esprit et l’âme. »

« Monsieur Dale, dit Riccabocca en prenant congé du curé, avez-vous fait à Frank Hazeldean, lors de son entrée dans le monde, la même dissertation sur les limites et le but de la science ?

— Mon ami, dit le curé, non sans une certaine suffisance, j’ai souvent monté à cheval, et je sais qu’il y a des chevaux qui ont besoin d’être conduits par la bride, et d’autres qui exigent l’éperon.

Cospetto ! dit Riccabocca ; vous parvenez à appliquer à votre