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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/261

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la seconde journée Hélène le trouva prodigue : elle lui adressait un regard plein de sagesse et passait son bras sous le sien quand il s’apprêtait à entrer dans une auberge pour dîner. Rien n’eût été plus comique que le sérieux de la jeune fille si ses yeux, à travers leurs larmes, n’eussent manifesté la plus grande douceur et la plus tendre reconnaissance. Enfin la bourse passa dans ses mains ! Comment cela se fit-il, je ne sais ; mais toujours est-il que dès ce moment elle releva la tête avec une certaine fierté.

Ah ! quels heureux repas furent arrangés par ses soins ! comme ils étaient bien plus gais que tous ceux faits dans les tristes salles sablées des auberges, où bourdonnaient les mouches et où l’on respirait l’odeur de tabac ! Elle quittait son compagnon à l’entrée du village, courait en avant, faisait ses provisions et revenait avec un petit panier et une gentille cruche bleue qu’elle avait achetée et fait emplir de lait tout frais ; dans le panier étaient du pain tendra et des radis ou du cresson de fontaine. Et comme elle savait découvrir de jolis endroits pour se reposer et pour y dîner ! quelquefois c’était au milieu d’un bois, d’un bois si solitaire, qu’on eût dit une forêt des contes de fées : le lièvre bondissait à travers les allées, l’écureuil les regardait à travers les rameaux ; quelquefois c’était au bord d’un petit ruisseau, où l’on voyait dans l’eau pure et limpide les poissons se disputer les miettes de pain qu’ils leur jetaient. Ils firent une Arcadie du triste chemin qui les conduisait vers ces terribles Thermopyles, vers ce grand champ de bataille qui les attendait de l’autre côté de leur vallée de Tempé.

« Serons-nous aussi heureux quand nous serons riches ? » disait Léonard dans sa naïve innocence.

Hélène soupirait et secouait sa petite tête pleine de sagesse.


CHAPITRE XLIV.

Enfin ils arrivèrent tout près de Londres ; Léonard avait résolu de ne pas entrer dans la capitale harassé, la tête basse, comme un vagabond qui cherche un refuge, mais frais, reposé et le front haut, comme un conquérant qui vient prendre triomphalement possession. Ils s’arrêtèrent donc de bonne heure la veille à six milles environ de la métropole, dans le voisinage d’Ealing (car c’était là qu’aboutissait leur route). Ils n’étaient point fatigués en arrivant à l’auberge. Il faisait beau : c’était une de ces soirées douces et brillantes dont on jouit parfois pendant les étés si courts mais si admirables de l’Angleterre. Tout était si vert sur la terre et si bleu dans le ciel ! c’était une de ces journées comme nous en avons à peine six dans toute l’année et que nous nous rappelons va-