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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/262

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guement quand nous lisons Robin Hood et la Jeune Marianne, la demoiselle et le chevalier dans la chanson d’été de Spencer, ou Jacques tombé sous le chêne et guettant le daim au milieu des vallées des Ardennes. Après s’être reposés un moment à l’auberge, ils sortirent, non pour continuer leur route, mais pour jouir de la fraîcheur du soir ; ils passèrent près des terres du duc de Kent et jetèrent, à travers les grilles, un coup d’œil sur les bosquets et les pelouses de ce beau domaine ; puis ils traversèrent les champs et vinrent jusqu’au bord d’un petit ruisseau appelé la Brent. Hélène s’était montrée ce jour-là plus triste encore qu’à l’ordinaire. Peut-être que dans le voisinage de Londres le souvenir de son père se réveillait plus vif chez elle ; peut-être cette mélancolie était-elle l’effet de la connaissance précoce qu’elle avait de la vie et du pressentiment des malheurs qui devaient les assaillir, pauvres enfants qu’ils étaient ! Mais Léonard, contre sa coutume, se montra égoïste ; il ne partageait pas la tristesse de sa compagne : il était trop plein du sentiment de son existence, et d’ailleurs il aspirait déjà cette ardeur fiévreuse que communique l’atmosphère des capitales.

« Asseyons-nous ici, ma sœur, dit-il d’un ton d’autorité et en s’étendant lui-même à l’ombre d’un arbre dont le feuillage retombait sur le petit ruisseau sinueux. Asseyons-nous et causons. » Puis il lança son chapeau au loin, rejeta en arrière les boucles de sa belle chevelure et se rafraîchit le front dans l’eau du ruisseau.

« Ainsi donc Londres est réellement très-grand, très-grand ? répéta-t-il d’un ton interrogateur.

— Oui, très-grand, répondit Hélène, pendant que, distraite, elle cueillait des pâquerettes et les laissait tomber dans l’eau courante. Voyez comme les fleurs sont emportées par le courant ! Elles sont déjà perdues. Londres est pour nous ce qu’est la rivière pour les fleurs… c’est une ville très-grande, dont le courant est très-fort. Puis elle ajouta, après un court moment de silence, et très-cruel.

— Cruel ! Oh ! il l’a été pour vous, mais maintenant ! maintenant je vous protégerai. »

Léonard sourit d’un air de triomphateur, et ce sourire était beau dans ce qu’il avait de fier et d’affectueux. Léonard était bien changé depuis qu’il avait quitté la maison de son oncle : il était à la fois plus jeune et plus vieux ; car le génie, que nous sentons en nous, quand il brise ses chaînes, nous rend plus vieux et plus sages par rapport au monde vers lequel il prend son essor… il nous rend plus jeunes et plus aveugles par rapport à celui dont il s’élance.

« Et ce n’est pas une belle ville, dites-vous ?

— Très-laide, répondit Hélène avec vivacité, au moins tout ce que j’en ai vu.

— Mais il doit y avoir des quartiers plus jolis les uns que les autres ? Vous dites qu’il y a des parcs ? Pourquoi n’habiterions-nous pas dans le voisinage d’un parc pour avoir la verdure sous les yeux ?

— Ce serait très-joli, dit Hélène presque avec enjouement,