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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/279

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de la maladie d’après vos paroles. Vous allez me dire qu’il s’agit de consomption, de dyspepsie, ou de tout autre mal qui n’existe pas : pures inventions de l’allopathie !… les symptômes, monsieur, les symptômes ?

Léonard (insistant). Vous avez soigné son pauvre père, le capitaine Digby, quand il est tombé malade dans la voiture où vous étiez avec lui. Il est mort et sa fille est orpheline.

Le docteur Morgan (fouillant dans son livre de médecine). Orpheline ! il n’y a rien de meilleur pour les orphelines, surtout si elles sont inconsolables, que de l’aconit et de la camomille. »

Léonard réussit après quelque difficulté à rappeler Hélène au souvenir de l’homœopathe, lui expliquant comment il se trouvait chargé de la jeune fille et pourquoi il cherchait le docteur Morgan.

Le docteur fut très-ému. « Mais, en vérité, dit-il après un moment de réflexion, je ne vois pas en quoi je puis venir en aide à la pauvre enfant. Je ne sais rien de ses parents. Ce lord Les… d’ailleurs quel que soit son nom… je ne connais pas de lord à Londres. J’ai connu des lords et j’en ai médicamenté, quand j’étais un stupide allopathe. J’avais pour client, le comte de Lansmere… il a reçu plus d’une pilule mercurielle de moi, pécheur que j’étais ! Son fils était plus sage : il ne voulait pas entendre parler de médecine, lui ; c’était un garçon très-intelligent que lord L’Estrange…

— Lord L’Estrange ! mais ce nom commence par Les…

— Bah ! il réside sur le continent. Il montre ainsi son bon sens. Moi aussi je vais partir pour l’étranger. Il n’y a pas de progrès possibles pour la science dans cette affreuse ville remplie de préjugés et adonnée à la plus barbare allopathie ! Je pars pour le pays d’Hahnemann, monsieur ; j’ai cédé ma clientèle, mon bail et mes meubles pour m’en aller vivre sur les bords du Rhin. La vie est naturelle dans ce pays-là, monsieur… l’homœopathie a besoin de la nature. On y dîne à une heure, on se lève à quatre : le thé y est peu connu, et la science fort appréciée. Mais je m’oublie ! Voyons, que puis-je faire pour votre orpheline ?

— Eh bien, monsieur, dit Léonard en se levant, le ciel me donnera sans doute la force de la protéger. »

Le docteur regarda le jeune homme avec attention.

« Et cependant, lui dit-il d’une voix plus douce, jeune homme, d’après votre propre aveu vous lui êtes complètement étranger, ou du moins vous lui étiez étranger, lorsque vous avez pris sur vous de l’amener à Londres. Vous avez un bon cœur… conservez-le toujours. C’est très-salutaire, monsieur, un bon cœur… c’est-à-dire quand ce n’est pas porté à l’excès. Mais vous avez sans doute des amis dans cette ville ?

— Pas encore, monsieur ; j’espère m’en faire.

Le docteur. Diable ! comment vous y prendrez-vous ? Je n’ai pas pu m’en faire un seul, moi. »

Léonard rougit et baissa la tête. Il avait envie de répondre : les auteurs trouvent des amis dans leurs lecteurs ; je vais devenir au-