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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/280

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teur. Mais il sentit que sa réponse aurait un air de suffisance, et préféra garder le silence.

Le docteur l’examina plus attentivement encore et avec un intérêt marqué.

« Vous dites que vous êtes venu à Londres à pied ? Est-ce par goût ou par économie ?

Léonard. Tous les deux, monsieur.

Le docteur. Voyons, asseyez-vous de nouveau et causons un peu. J’ai un quart d’heure à vous donner : je verrai si je puis vous être utile en quelque chose, pourvu que vous me disiez tous les symptômes… J’entends les particularités. »

Puis, avec cette habileté ordinaire aux médecins expérimentés, le docteur Morgan, qui était réellement capable et perspicace, posa à Léonard une suite de questions, au moyen desquelles il finit par lui arracher l’histoire de sa vie et celle de ses espérances. Mais lorsque le docteur, rempli d’admiration pour cette naïveté du jeune homme qui contrastait si visiblement avec sa vive intelligence, en vint à lui demander son nom et celui de ses parents, et que Léonard les lui eut dit, l’homœopathe s’écria :

« Léonard Fairfield ! le petit-fils de mon vieil ami, John Avenel, de Lansmere ! Donnez-moi la main. Élevé par mistress Fairfield ! Ah ! je vois maintenant ! Il y a un air de famille très-prononcé. »

Des larmes mouillèrent les yeux du docteur. « Pauvre Nora ! dit-il.

— Nora ! vous avez donc connu ma tante ?

— Votre tante ! Ah ! ah ! ah ! oui, c’est triste ! La pauvre Nora ! Elle est morte presque dans mes bras : si jeune, si belle ! Je m’en souviens comme si c’était d’hier. »

Le docteur passa sa main sur ses yeux et avala un globule, et puis avant que Léonard sût ce qu’il allait faire, il en avait fait passer un autre entre les lèvres tremblantes du jeune homme.

En ce moment on entendit frapper à la porte.

« Ah ! c’est mon grand malade, s’écria le docteur reprenant son sang-froid, il faut que je le voie. C’est un cas chronique… excellent malade ! un tic, monsieur, un tic. Un cas curieux et embarrassant. Si je pouvais emmener ce tic avec moi, je ne demanderais plus rien au ciel. Revenez lundi, j’aurai peut-être quelque chose de nouveau à vous dire. La jeune fille ne peut pas rester avec vous… c’est déplacé et absurde. Je la verrai. Laissez-moi votre adresse : tenez, écrivez-la ici. Je crois connaître une dame qui se chargera de la jeune fille. Adieu ! à lundi prochain, dix heures. »

Là-dessus, le docteur poussa Léonard vers la porte, et fit entrer le grand malade qu’il désirait si fort emmener avec lui sur les bords du Rhin. Il fallait maintenant que Léonard découvrît le noble personnage dont le nom avait été prononcé d’une manière si vague par le pauvre capitaine Digby. Il eut encore une fois recours à l’Almanach royal. Il trouva l’adresse de deux ou trois lords, dont les noms com-