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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/290

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— Il me semble, dit Léonard d’une voix tremblante et avec un sourire plein d’amertume, qu’il n’y a rien dans cette lettre dont je puisse vouloir me vanter. Oui, je vous le promets… la lettre ! la lettre ! »

Le docteur mit la lettre dans la main droite de Léonard, puis, plissant légèrement le pouce et l’index sur le poignet de sa main gauche :

« Pouls décroissant, dit-il. Cet aconit est une chose merveilleuse ! »

Voici ce que lut Léonard,

Au docteur Morgan :

« Monsieur,

« J’ai reçu votre présente, et je suis heureuse d’apprendre que le pauvre garçon se porte bien ; mais il a mal agi et a été ingrat envers mon bon fils Richard, qui est un honneur pour toute la famille, qui s’est fait tout seul un gentleman, et qui a été très-bon pour lui, sans savoir qui il est, dont Dieu nous préserve ! je ne veux plus revoir cet enfant.

« Le pauvre John a été malade et agité pendant plusieurs jours après sa visite. John est un pauvre être depuis qu’il est tombé en paralysie. Il ne parlait plus que de Nora, les yeux du jeune homme ressemblent tant à ceux de sa mère ! Non, je ne puis plus voir l’enfant de la honte ! Il ne faut plus qu’il vienne ici ! Pour l’amour de Dieu, monsieur, ne me demandez pas cela… Nous qui avons toujours été des gens si respectables. Quel malheur que cette honteuse naissance ! Gardez-le où il est ; placez-le-comme apprenti et je payerai ce qu’il faudra. Vous dites, monsieur, qu’il est intelligent et qu’il apprend vite. Le curé Dale en disait autant : il voulait qu’il allât à l’Université, disant qu’il ferait son chemin ! mais tout se saurait alors, et ce serait pour moi le coup de la mort, monsieur ; je n’aurais plus de repos, même dans ma tombe.

« Nora, dont nous étions si orgueilleux ! misérables pécheurs que nous sommes ! la bonne réputation de Nora, que nous avions sauvée, serait perdue. Et Richard, qui est si fier et qui aimait tant la pauvre Nora ! il ne relèverait plus la tête de sa vie ! Que cet enfant ne cherche, donc pas à paraître dans le monde… qu’il fasse comme nous un petit commerce, je prierai pour lui et je demanderai au ciel qu’il soit heureux. Ne sommes-nous pas bien punis d’avoir élevé nos enfants au-dessus de leur condition, Nora ? que j’avais coutume d’appeler la plus belle dame du pays ! Ah ! nous avons été justement châtiés ! Ainsi donc, monsieur, je mets tout entre vos mains, et je vous payerai tout ce que vous dépenserez pour le jeune homme. Gardez-nous toujours le secret, car nous n’avons jamais entendu parler du père, et personne ne sait que Nora a un fils vivant, excepté moi, ma fille Jeanne, le curé Dale et vous… vous êtes deux honnêtes gentlemen. Quant à Jeanne, elle gardera le secret. Voici que je deviens vieille…