Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/291

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je descendrai bientôt dans la tombe ; j’espère cependant ne pas mourir tant que notre pauvre John aura besoin de secours. Que ferait-il sans moi ? Et si ça venait à se savoir, monsieur, cela me tuerait roide. Le pauvre John est bien faible maintenant. Que Dieu le bénisse ! Je m’arrête ici. Votre toute dévouée

« M. Avenel. »

Léonard posa la lettre avec calme sur la table, et son émotion ne se trahit que par le soulèvement de sa poitrine et la pâleur mortelle de ses lèvres. Les premiers mots qu’il prononça prouvèrent tout ce qu’il y avait de bonté dans son cœur. « Dieu merci ! » s’écria-t-il.

Le docteur ne s’attendait guère à ce mouvement de reconnaissance ; aussi son étonnement fut tel qu’il s’écria : « Merci ! de quoi ?

— Je n’ai rien à plaindre ni à excuser chez celle que j’ai connue et honorée comme ma mère ! Je ne suis pas son fils… son… »

Il s’arrêta court.

« Non ; mais ne soyez pas trop sévère pour votre vraie mère… pour la pauvre Nora ! »

Léonard balbutia quelques mots ! puis tout à coup fondit en larmes.

« Ô ma mère ! ma mère ! toi pour qui je me sentais une si mystérieuse affection ! toi de qui j’ai reçu cette âme de poète ! pardonne-moi ! pardonne-moi !… Sévère envers toi ! Ah ! plût à Dieu que tu vécusses encore, que je pusse te consoler ! Que tu as dû souffrir ! »

Ces paroles étaient entrecoupées de soupirs et de sanglots, qui jaillissaient du fond de son cœur. Il reprit la lettre, et ses pensées se modifièrent lorsque ses yeux tombèrent sur le passage où sa grand’mère rougissait de son existence et craignait que le secret de sa naissance ne fût révélé. Toute sa fierté naturelle lui revint. Il releva la tête : ses yeux étaient secs.

« Dites-lui, reprit-il d’une voix sévère et ferme, dites à Mme Avenel qu’on lui obéira… que je ne me présenterai plus dans sa demeure, et que je ne ferai pas rougir son heureux fils. Mais dites-lui aussi que je choisirai la carrière qui me conviendra, et que je refuse l’argent avec lequel elle veut obtenir mon silence. Dites-lui que si je suis sans nom, je veux du moins m’en faire un.

— Je ne doute pas que vous n’y arriviez, mon digne enfant, dit le docteur, et peut-être retrouverez-vous un père qui…

— Un père ! qui est-ce ? quel est-il ? Il vit donc ? Mais il m’a abandonné ! il faut qu’il l’ait trahie ! Je n’en veux pas. La loi ne me donne pas de père. »

Ces derniers mots furent prononcés avec fiel et rancune ; puis Léonard reprit d’un ton plus calme :

« Cependant je voudrais savoir qui il est, afin de l’éviter aussi. »

Le docteur Morgan parut embarrassé, il hésitait.