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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/345

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avaient affronté ensemble les tempêtes de la destinée, son cœur fut plus ému qu’il ne l’avait été depuis bien des années. En présence de ces tristes mansardes, noircies par la fumée de l’humble faubourg, au milieu de ce monde ouvrier, dans tout ce qu’il a de plus vulgaire, il reconnut cette divine poésie qui résulte de l’union complète de l’esprit et du cœur. Sur cette grosse table de bois, se trouvaient les écrits du jeune homme qui travaillait pour gagner de la gloire et du pain : de l’autre côté de la cloison sur ce méchant grabat reposait la consolatrice du jeune poète, le seul être vivant qui réchauffât son cœur par une tendre affection. D’un côté de la cloison, le monde de l’imagination ; de l’autre, celui de la douleur et de l’amour, et des deux côtés même sublimité de courage, même dévouement désintéressé… quelque chose en dehors de la sphère de nos chagrins vulgaires.

Il promena ses regards autour de la chambre dans laquelle il avait suivi Léonard en quittant le chevet d’Hélène. Il remarqua les manuscrits, étalés sur la table, et les indiquant du doigt il dit avec douceur :

« Et ce sont là les travaux avec lesquels vous avez soutenu la fille du soldat, soldat vous-même, dans une rude bataille ?

— J’ai perdu la bataille ; je n’ai pu la faire vivre, répondit Léonard avec tristesse.

— Mais vous ne l’avez pas abandonnée. Quand s’ouvrit la boîte de Pandore, on dit que l’Espérance resta au fond…

— C’est faux ! c’est faux ! dit Léonard, c’est une idée païenne ! il y a des divinités qui demeurent bien après l’espérance : la reconnaissance, l’amour et le devoir. »

« Ce sont là des sentiments peu communs, » murmura Harley, se parlant à lui-même ; puis il reprit à haute voix :

« Je vais en toute hâte, chercher le médecin : je reviendrai avec lui. Il faut soustraire, le plus tôt possible, la malade à cet air étouffé. Permettez-moi, cependant, de tempérer un peu la vivacité avec laquelle vous repoussez la fable antique. Toutes les fois que la reconnaissance, l’amour et le devoir restent à l’homme, croyez-moi : l’espérance est là aussi, quoiqu’elle soit souvent invisible et cachée derrière les ailes protectrices de plus nobles divinités. »

Harley prononça ces mots avec ce merveilleux sourire qui lui était particulier et qui sembla éclairer toute la chambre, puis il partit.

Léonard s’approcha doucement de la triste fenêtre, et regardant les étoiles, dont la pâle clarté tombait sur les toits des maisons, il murmura cette prière : « Ô toi, qui vois tout, Dieu miséricordieux, quelle consolation pour moi en ce moment que de penser que si mes rêves de science m’ont parfois obscurci le ciel, je n’ai du moins jamais douté que tu n’y fusses lumineux et éternel, bien que caché derrière les nuages ! » Il continua, pendant quelques instants, à prier en silence, puis il passa dans la chambre d’Hélène, et s’assit auprès d’elle sans faire de bruit, car elle dormait. Elle s’éveilla au moment où Harley