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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/371

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pensée me fait venir l’eau à la bouche ; lorsque Sa Majesté, les annexant temporairement à la couronne, me permit, comme au plus proche héritier mâle, de percevoir la moitié des revenus pendant un temps indéfini, n’avais-je pas toute raison de croire que je parviendrais à obtenir de Sa Majesté Impériale ou de son ministre un décret qui me transférerait tous ces biens d’une manière absolue et sans conditions ? Et j’y aurais certainement réussi sans l’intervention de ce maudit milord anglais qui n’a cessé d’assiéger la cour et le ministre de réclamations, d’atténuations de la rébellion de notre cousin et d’assertions sans preuves que j’y avais participé dans le but de l’y entraîner, et que je l’avais ensuite trahi pour profiter de ses dépouilles. Si bien qu’en récompense de tous mes services et en réponse à mes réclamations, j’ai fini par ne recevoir de la bouche du ministre que cette froide réponse : « Comte de Peschiera, vos services ont été importants et votre récompense a été considérable. Il conviendrait mal à votre honneur de chercher à augmenter cette récompense, et de justifier les accusations de vos compatriotes en vous appropriant formellement tout ce qui a été perdu par celui dont vous avez dénoncé la trahison. L’honneur d’un nom aussi noble que le vôtre doit vous être plus cher que la fortune elle-même. »

— Ah ! Giulio, s’écria Béatrix dont la physionomie, changeant de caractère, s’anima tout à coup, de telles paroles étaient faites pour faire fuir honteusement le démon de l’avarice qui était entré dans votre âme. »

Le comte ouvrit les yeux d’un air d’étonnement ; puis il regarda autour de la chambre, et dit d’un ton calme :

« Personne que moi ne vous entend, chère Béatrix ; parlons sérieusement. L’héroïsme est d’un très-bon effet dans le monde ; mais il n’y a rien de moins approprié à une conversation de famille. »

Mme di Negra baissa la tête avec confusion, et l’expression généreuse qui avait éclaire son visage s’évanouit rapidement.

« Néanmoins, reprit-elle froidement, vous continuez à jouir de la moitié de ces immenses revenus ; pourquoi donc alors parler de ruine et de suicide ?

— J’en jouis sous le bon plaisir de la couronne ; et si c’était son bon plaisir de rappeler notre cousin et de lui rendre ses domaines ?

— Il y a donc probabilité de pardon ? Lorsque vous m’avez employée pour la première fois à vos recherches, vous pensiez seulement qu’il y avait possibilité.

— Il y a grande probabilité, et c’est pourquoi je suis ici. J’ai appris il y a quelque temps que la question de ce rappel avait été proposée par l’empereur et discutée dans le conseil. Les dangers qui pouvaient résulter pour l’État de la grande fortune de notre parent, de ses talents supposés, de son nom populaire, ont fait ajourner une décision sur ce point ; et au fait la difficulté de traiter avec moi doit avoir embarrassé le ministre ; mais ce n’est plus qu’une question de temps. Notre cousin ne peut être définitivement exclu de l’amnistie accordée aux autres réfugiés. L’homme dont je tiens ces rensei-