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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/10

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reprit le comte après une courte pause, de pardonner au rival qu’à l’héritier.

— Au rival ? Comment cela ?

— Une jeune fille qui m’avait été destinée par ses parents, bien que nous n’eussions pas été fiancés officiellement, j’en conviens, devint la femme de mon cousin.

— Connaissait-il vos prétentions ?

— Je lui dois la justice de dire que non. Il vit la jeune fille et en devint aussitôt épris. Les parents de ma fiancée furent éblouis. Le père me fit demander. Il s’expliqua, s’excusa ; il me représenta, avec assez de douceur, certaines peccadilles de ma jeunesse comme la raison de son changement, et il me demanda non-seulement de renoncer à sa fille, mais encore de taire au nouvel amant de celle-ci les espérances que j’avais nourries.

— Et vous y consentîtes ?

— Oui.

— Ce fut généreux de votre part. Il faut, en effet, que vous ayez été bien attaché à votre parent. De la part de l’amant, je ne le comprends pas ; peut-être, mon cher comte, me l’expliquerez-vous mieux de la part de l’homme sans préjugés.

— Je suppose, dit le comte de son air le plus roué, que nous sommes tous deux des hommes du monde ?

— Certainement, répliqua Randal absolument du ton dont Peachum eût sollicité les confidences de Locket.

— Eh bien donc, reprit le comte en jouant avec ses breloques, j’avoue que, comme homme du monde, puisque je ne pouvais épouser la jeune fille (et cela m’était démontré), j’étais bien aise de la voir mariée à mon riche parent.

— Cela devait naturellement vous rapprocher encore de votre cousin.

— Ce garçon a vraiment beaucoup d’esprit ! » pensa le comte, mais il ne fit point de réponse directe.

« Enfin, pour abréger, mon cousin se trouva plus tard compromis dans des conspirations dont l’insuccès a été connu de tous. Ses projets furent découverts, lui-même dénoncé. Il prit la fuite, et l’empereur, en séquestrant ses biens, m’attribua, par une rare et singulière faveur, la moitié du revenu de ses domaines pendant un temps indéterminé ; l’autre moitié ne fut pas non plus formellement confisquée. Sa Majesté, sans nul doute, désirait ne pas voir s’éteindre un nom illustre ; et si mon cousin et sa fille mouraient en exil, moi, Franzini, comte de Peschiera, loyal sujet de l’Autriche, je devais en être le représentant. La politique russe, dans des cas semblables, a souvent agi ainsi envers les insurgés polonais.

— Je comprends parfaitement, et je devine que, profitant si largement quoique si justement de la chute de votre cousin, vous ayez pu être en butte à des soupçons pénibles.

— Entre nous, mon cher, je ne tiens pas le moins du monde à la popularité ; et quant aux soupçons, qui peut se flatter d’échapper aux calomnies des envieux ? Néanmoins, il est certain que mieux vaudrait