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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/9

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tion ; je vais me réfugier dans le sein du bonheur domestique, me marier, m’établir. Sans l’ambition, il faudrait mourir d’ennui. À propos, mon cher monsieur, j’ai à vous remercier du concours que vous avez promis à ma sœur pour chercher un de nos proches parents qui s’est réfugié dans ce pays, et qui se cache même de moi.

— Je m’estimerais heureux de vous être utile dans ces recherches ; mais, je vous avoue avec regret que jusqu’ici ma bonne volonté a été inutile. Il me semble cependant qu’un homme de ce rang devrait être aisé à découvrir, ne fût-ce que par le moyen de votre ambassadeur.

— Notre ambassadeur est loin d’être de mes amis ; et, quant au rang, il ne saurait être un indice, car mon parent a renoncé au sien depuis qu’il a quitté son pays.

— Il ne l’a pas quitté tout à fait volontairement, je suppose ? dit Randal en souriant. Excusez ma curiosité, mais je serais bien aise que vous m’expliquassiez (plus clairement que ne font les bruits publics) comment un homme qui, dans une révolution, avait tant à perdre et si peu à gagner, a pu s’embarquer sur ce fragile esquif dont l’équipage n’était composé que d’aventuriers sans cervelle et de professeurs visionnaires.

— Des professeurs ! répéta le comte, justement ; à mon avis, vous avez mis le doigt sur la réponse à votre question ; non pas qu’il n’y eût parmi nous des hommes de grande naissance tout aussi fous que la canaille. Je suis d’autant plus disposé à satisfaire votre curiosité, que cela pourra vous aider dans les recherches que vous voulez bien faire pour moi. Vous saurez donc que mon cousin n’était point né pour le rang qu’il a occupé. Il n’était que parent éloigné du chef de notre maison. Élevé dans une université italienne, il s’y distingua à la fois par son savoir et ses excentricités. C’est là, je suppose, que, méditant des contes de bonnes femmes au sujet de la liberté, il contracta ses idées de carbonaro sur l’indépendance de l’Italie. La mort successive de trois personnes lui donna, jeune encore, une position et des honneurs qui eussent satisfait tout homme en possession de son bon sens. Que pouvait-il gagner à l’indépendance de l’Italie ? — Lui et moi nous étions cousins ; nous avions joué ensemble dans notre enfance, mais nos vies s’étaient depuis séparées ; son accession à ce haut rang nous rapprocha naturellement. Nous nous liâmes intimement, et vous pouvez juger combien je l’aimais, dit le comte en détournant légèrement son visage du regard sagace et observateur de Randal, vous jugerez combien je l’aimais, quand je vous aurai dit que je lui pardonnai de jouir d’un héritage qui, sans lui, m’eût appartenu.

— Ah ! vous étiez après lui le plus proche héritier ?

— Oui, et c’est une dure épreuve que de se trouver tout proche d’une grande fortune et de la manquer.

— C’est vrai, » s’écria impétueusement Randal.

Le comte leva alors les yeux, et ces deux hommes lurent dans l’âme l’un de l’autre.

« Peut-être, pour certains hommes, eût-il été plus dur encore,