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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/104

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Malheureusement le second ministre, qui avait jusqu’ici gardé le silence, était un homme littéraire, et pendant la conversation précédente, il avait feuilleté le célèbre pamphlet de Leslie qui se trouvait sur la table. En le parcourant, l’esprit dans lequel était conçu cet écrit lui était revenu en mémoire. Il aimait Randal, il faisait plus, il admirait sérieusement l’auteur du vigoureux pamphlet. Sortant donc de la dédaigneuse indifférence que lui avait d’abord inspirée le sort d’un employé subalterne, il dit avec un sourire gracieux et flatteur : « Non, l’homme qui a écrit ceci n’est point un fonctionnaire ordinaire ; ses opinions sont trop vigoureusement accusées ; la piquante ironie avec laquelle il a dépeint l’homme qui selon toute probabilité deviendrait son chef, a excité trop vivement l’attention publique pour que le sedet æternumque sedebit sur un tabouret officiel lui soit permis. Ah ! ah ! voici qui est admirable. Lisez cela, L’Estrange. Qu’en dites-vous ? »

Harley jeta un coup d’œil sur la page que lui montrait l’ex-ministre. C’était une de ces caricatures grossières mais frappantes de Burley, adoucie et raffinée par le style plus correct de Randal. Elle était excellente. Harley sourit et leva les yeux vers Randal Le visage de l’infortuné plagiaire était cramoisi ; la sueur perlait sur son front. Harley haïssait avec vigueur, de même qu’il aimait avec tendresse et dévouement, mais il était de ceux qui oublient leur haine lorsqu’ils voient celui qui en est l’objet malheureux et humilié. Il posa le pamphlet et dit :

« Je ne suis pas homme politique, mais Egerton est si connu pour être rigoureusement scrupuleux en matière d’honneur et d’étiquette, que M. Leslie ne peut, ce me semble, écouter de plus sûr conseiller.

— Lisez vous-même ceci, Egerton, » dit sir H. ; et il passa le pamphlet à l’ex-ministre.

Egerton avait vaguement l’idée que ce pamphlet pouvait en effet être un obstacle, mais il l’avait autrefois parcouru à la hâte et l’avait presque aussitôt oublié. Il prit avec répugnance la trop fameuse brochure, mais après avoir lu attentivement les passages désignés, il dit gravement :

« Leslie, Je rétracte mon opinion. Je crois que sir H. a raison, que le noble lord, qui est ici l’objet d’une si fine et si mordante raillerie, sera le chef de votre administration. Je me demande si lui-même n’exigerait pas votre démission ; dans tous les cas, vous ne pourriez espérer aucun avancement. Je crains donc que comme… Egerton s’arrêta un moment, et avec un soupir qui parut avoir décidé la question il reprit : Je crains donc que comme gentleman vous n’ayez en effet pas le choix. »

Ni Jack Cade, ni Wat Tyler lui-même ne ressentirent jamais une haine plus mortelle pour ce mot gentleman, que ne fit en ce moment le noble Leslie ; mais il inclina la tête et répondit avec sa présence d’esprit accoutumée :

« Vous avez exprimé mon propre sentiment.