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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/107

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— Ah, monsieur ! je ne voudrais pas vous être à charge plus longtemps. Quel droit ai-je à tant de bontés, si ce n’est mon nom de Leslie ? »

Et, en dépit de lui-même, Randal dit ces derniers mots avec un accent d’amertume qui trahissait le reproche. Egerton avait trop d’expérience du monde pour ne pas sentir ce reproche, mais aussi pour ne pas le pardonner.

« Certainement, répondit-il avec calme, le nom de Leslie vous donne droit à ma considération, et peut-être auriez-vous droit à plus encore, si je ne vous eusse si explicitement prévenu du contraire. — Mais le barreau ne paraît pas vous plaire ?

— Quelle est l’autre alternative, monsieur ? Permettez-moi de ne décider qu’en connaissance de cause, » dit Randal d’un ton d’humeur.

Il commençait à perdre le respect pour l’homme qui avouait ne pouvoir que si peu de chose pour lui, et qui évidemment lui conseillait de chercher à se pourvoir et à se tirer d’affaire lui-même. Si le regard eût pu percer jusqu’au fond du cœur d’Egerton, tandis que celui-ci remarquait le changement de ton du jeune homme, on eût été embarrassé de décider s’il en ressentait de la peine ou du plaisir ; — de la peine, car l’habitude avait fini par l’attacher à Randal ; ou du plaisir, à la pensée qu’il était libre de lui retirer son affection, tant était devenu froid et stoïque l’homme qui s’était efforcé de n’avoir point de vie privée. Quoi qu’il en soit, Egerton, sans témoigner ni peine ni plaisir, reprit avec la calme impartialité d’un juge :

« L’autre alternative, c’est de continuer à suivre la même route, et de vous attacher à mon sort.

— Cher monsieur Egerton ! s’écria Randal reprenant toute sa tendresse d’accent et de regard ; m’attacher à votre sort ! Mais je ne demande que cela ! Seulement…

— Seulement, voulez-vous dire, je suis dehors du pouvoir, et vous ne me voyez aucune chance d’y rentrer ?

— Ce n’est pas cela que je voulais dire,

— Permettez-moi de supposer que vous l’avez dit. Cela est néanmoins vrai ; il est aussi certain que le parti que je représente reviendra au pouvoir, qu’il est certain que le pendule de cette horloge obéira au mécanisme qui le fait mouvoir de droite à gauche. Nos successeurs sont portés au pouvoir par le triomphe d’une question populaire, Tout ministère qui arrive dans des circonstances de ce genre est nécessairement de peu de durée. Ou bien il ne va pas assez loin pour satisfaire ceux qui l’ont soutenu, ou il va assez loin pour se faire des ennemis nouveaux, des rivaux qui renchérissent sur lui auprès du peuple. C’est l’histoire de toutes les révolutions et de toutes les réformes. Notre propre administration ne succombe que pour avoir proposé ce qu’on appelait il y a un an une mesure populaire qui nous a fait perdre la moitié de nos amis, et pour avoir refusé de proposer cette année une autre mesure populaire, dans laquelle nous sommes