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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/109

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pon, en marqueterie, en bois de rose incrusté d’or. Il régnait dans toute la pièce une telle coquetterie, un tel air de petit maître, qu’il était impossible de se rappeler que l’on était chez un usurier. Plutus avait revêtu l’aspect de Cupidon son ennemi ; et comment songer à Harpagon en face de ce baron avec son allure aisée, ses mains blanches et tièdes qui serraient si cordialement les vôtres, et sa mise toujours élégante, si peu avancée que fût la matinée ? Personne n’avait jamais vu le baron en pantoufles et en robe de chambre. De même qu’on se représente volontiers un ancien baron féodal (moins terrible cent fois), éternellement enfermé dans sa cotte de mailles, ainsi à la pensée de ce grand maraudeur de la civilisation, s’associaient invinciblement celles de bottes vernies et d’un camélia à la boutonnière.

« Et c’est là tout ce qu’il veut faire pour vous, disait le baron en poussant l’un contre l’autre le bout de ses dix doigts. Si jadis il vous eût laissé continuer votre carrière à Oxford, j’ai assez entendu parler de vos succès pour savoir que vous auriez conquis tous les honneurs universitaires, obtenu l’agrégation, et vous seriez alors entré de bon cœur dans une profession lente et laborieuse, en vous préparant à mourir sur le sac de laine.

— Il me propose de rentrer maintenant à Oxford, dit Randal ; il n’est pas trop tard.

— Si, dit le baron. Ni les nations, ni les individus ne retournent volontairement en arrière. Il faut un tremblement de terre pour qu’une rivière remonte vers sa source.

— Vous avez raison, dit Randal, ce n’est pas moi qui vous contredirai ; mais maintenant !

— Ah ! maintenant, mon cher, vous venez me demander un avis ?

— Non ; je viens vous demander une explication.

— Sur quoi ?

— Je voudrais savoir pourquoi vous m’avez parlé de la ruine de M. Egerton ; pourquoi vous m’avez parlé des terres que désire vendre M. Thornhill ; pourquoi vous m’avez parlé du comte de Peschiera. Vous avez touché à ces trois points dans l’espace de dix minutes… Vous avez omis de me dire quelle relation existe entre eux.

— Par Jupiter ! dit le baron se levant, et avec plus d’admiration qu’on n’eût cru possible à sa face joyeuse et cynique d’en exprimer ; par Jupiter ! Randal Leslie, vous avez une perspicacité merveilleuse. Vous êtes réellement le premier des jeunes gens d’aujourd’hui. Et je veux vous aider comme j’ai aidé Egerton. Peut-être serez-vous plus reconnaissant. »

Randal songea à la ruine d’Egerton et le parallèle n’éveilla pas en lui une gratitude bien enthousiaste. Il se contenta de dire :

« Continuez, je vous prie, je vous écoute avec le plus grand intérêt.

— Pour la politique, dit le baron, nous traiterons plus tard le sujet. J’attends moi-même de voir comment vont s’en tirer les nouveaux ministres. Nous devons d’abord nous occuper de votre fortune particulière. Vous devriez acheter ces anciens domaines des Leslie, —