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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/12

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rantie (et ceci n’est guère possible, puisqu’elle est pauvre), je m’en retournerais à Vienne, satisfait de pouvoir dire : « Ma parente est la femme d’un Anglais. Les enfants d’un étranger hériteront-ils des biens immenses d’une race si ancienne et si puissante ? » Parbleu ! si mon cousin n’eût été qu’un aventurier ou même qu’un professeur, il y a longtemps qu’il serait rentré. C’est le privilège des grands, qu’on ne leur pardonne pas aisément. »

Randal parut se livrer à uns réflexion rapide mais intense. Le comte qui l’observait non pas en face, mais dans une glace, où se réfléchissait son visage, se dit :

« Cet homme sait quelque chose ; il délibère ; donc il peut m’être utile. »

Mais Randal ne dit rien qui pût confirmer cette hypothèse ; il félicita poliment le comte de ses espérances dans les deux cas : « Et, ajouta-t-il, puisque vous ne voulez que du bien à votre cousin, il me semble que vous pourriez le découvrir par notre simple procédé anglais.

— Comment cela ?

— En insérant dans les journaux une annonce, par laquelle vous lui diriez que, s’il veut se rendre à tel endroit, il y apprendra quelque chose d’avantageux pour lui. »

Le comte secoua la tête.

« Il se méfierait de moi et ne viendrait pas.

— Mais s’il était votre ami intime ? Il a pris part à une insurrection ; vous avez été plus prudent ; mais vous ne lui avez fait aucun tort, bien que vous ayez profité de sa chute. Pourquoi donc vous éviterait-il ?

— Les conspirateurs ne pardonnent jamais à ceux qui n’ont pas voulu conspirer avec eux ; en outre, pour parler franchement, il croit que je lui ai fait du tort

— Ne pourriez-vous le détromper par l’intermédiaire de sa femme, de celle que vous lui avez cédée ?

— Elle n’existe plus ; elle mourut avant qu’il ne quittât l’Italie.

— Oh, cela est malheureux ! Quoi qu’il en soit, je crois qu’un avertissement pourrait réussir. Vous me permettrez de réfléchir à tout ceci. N’allons-nous pas retrouver Mme la marquise ? »

En rentrant dans le salon, ces messieurs trouvèrent Béatrice en grande toilette, assise auprès du feu, et lisant avec tant d’attention, qu’elle ne les vit pas entrer.

« Qu’est-ce qui vous intéresse donc si vivement ma sœur ? dit Peschiera. Le dernier roman de Balzac, sans doute ? »

Béatrix tressaillit et, levant la tête, laissa voir des yeux pleins de larmes.

« Oh, non, dit-elle. Il ne s’agit pas d’une peinture des vices et des misères de la vie parisienne. Ce livre est vraiment beau, il parle au cœur. »

Randal prit le livre que la marquise venait de quitter ; c’était celui-là même qu’avait discuté le petit cercle d’Hazeldean ; après avoir charmé les innocents et les simples de cœur, il charmait la femme du monde fatiguée et blasée.