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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/13

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« Hum ! murmura Randal, après tout le curé avait raison. C’est là une puissance, une sorte de puissance.

— Que j’aimerais à connaître l’auteur de ce livre ! dit Béatrice. Qui est-ce donc ? Le savez-vous ?

— Non. Quelque vieux pédant en lunettes, peut-être.

— Je suis sûre du contraire. Il y a là un cœur, comme celui que j’ai toujours rêvé, et que je n’ai jamais rencontré.

— Oh, la naïve enfant ! s’écria le comte : comme son imagination s’égare en rêves enchantés. Mais tandis que vous parlez comme une bergère, vous êtes parée comme une princesse.

— Ah ! oui, j’oubliais la réception de l’ambassadeur d’Autriche. Mais je n’irai pas ce soir ; ce livre me dégoûte du monde officiel.

— Comme vous voudrez, ma sœur. Moi, j’irai ; je n’aime pas l’homme, et il ne m’aime pas ; mais il faut conserver les apparences.

— Vous allez à l’ambassade d’Autriche ? dit Randal ; c’est aussi mon intention ; nous nous y retrouverons. » Et il prit congé du frère et de la sœur.

« Votre ami me plaît, dit le comte en bâillant. Je suis sûr qu’il sait où se cachent nos oiseaux, et qu’il les guettera comme un chien d’arrêt, si je parviens à le convaincre qu’il y va de son intérêt. Nous verrons. »


CHAPITRE III.

Randal arriva à l’ambassade avant le comte, et se mêla aux jeunes attachés dont il était connu. Parmi eux se trouvait un Autrichien, de haute naissance, dont l’air noble et gracieux réalisait l’idéal de l’ancienne chevalerie allemande. Randal lui fut présenté, et après avoir échangé avec lui quelques mots sur des sujets indifférents, lui dit :

« À propos, prince, il y a en ce moment à Londres un de vos compatriotes, que vous connaissez sans doute, le comte de Peschiera ?

— Il n’est pas mon compatriote. C’est un Italien. Je ne le connais que de nom et de vue, dit le prince avec quelque hauteur.

— Il est d’une très-ancienne famille, je crois ?

— Incontestablement. Ses ancêtres étaient gentilshommes.

— Et très-riches ?

— Ah ! je croyais le contraire. Il jouit à la vérité d’un revenu considérable. »

Ici un jeune attaché, moins réservé que le prince, s’écria :

« Oh, Peschiera ! le pauvre garçon aime trop les cartes pour être jamais riche.

— Et le parent dont les revenus lui ont été temporairement octroyés a, dit-on, quelque chance d’obtenir sa grâce ? dit Randal.