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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/120

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stériles)) sans autre patrimoine que la science. » Et tout en songeant ainsi, il avançait vers son but. Bien qu’il bâtît ces châteaux en Espagne dans un misérable fiacre, ce véhicule plébéien le conduisait rapidement vers le terrain solide où le plan grandiose de l’architecte devait se transformer en un édifice matériel de pierre et de plâtre. Le fiacre s’arrêta devant l’hôtel de lord Lansmere. Randal soupçonnait que Violante y était cachée, il avait résolu de s’en assurer. Il descendit de voiture et sonna. Le concierge ouvrit la grande porte.

« Je viens, dit Randal, pour voir la jeune dame qui est ici, la dame étrangère. »

Lady Lansmere avait eu trop de confiance en la sécurité de sa maison pour condescendre à donner aux domestiques des ordres particuliers concernant Violante ; le concierge répondit donc :

« Elle y est, je crois, monsieur ; elle est probablement au jardin avec milady.

— Je l’aperçois, dit Randal qui en effet avait distingué Violante à quelque distance. Mais puisqu’elle se promène, je ne veux pas la déranger ; je reviendrai un autre jour. »

Le concierge s’inclina respectueusement, et Randal sauta dans son fiacre en criant : « À Curzon-Street, vite ! »


CHAPITRE XXXVI.

Harley avait oublié une chose importante dans cet appel aux bons sentiments et à la nature meilleure de Béatrix dont il avait chargé Léonard.

Il avait bien prémuni celui-ci contre le danger de devenir amoureux de l’Italienne, mais il avait oublié de prémunir l’Italienne contre celui d’aimer Léonard ; la possibilité d’un semblable événement n’avait pas même traversé sa pensée. Il ne faut pas s’en étonner beaucoup, car la chose du monde sur laquelle les hommes les plus sensés se montrent le moins clairvoyants, si ce n’est quand la jalousie les stimule, c’est la probabilité qu’un autre homme vienne à être aimé. Les individus les moins vains du sexe qui porte moustaches croient souvent prudent de ne pas se montrer par trop irrésistibles envers le beau sexe, tandis que chacun d’eux dit de son ami : « C’est un bon garçon, mais c’est le dernier homme dont cette femme deviendrait amoureuse. »

Il est certain que, cette fois, les apparences justifiaient l’aveuglement d’Harley au sujet de Léonard.

Quelles que fussent d’ailleurs les bonnes qualités de Béatrix, elle passait généralement pour ambitieuse et intéressée. Elle était pauvre et en même temps luxueuse et prodigue. Était-il probable qu’elle