Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ah ! Vous prétendez donc à la main de ma sœur, monsieur Hazeldean ?

— Oui, mais pas en ce moment ; je ne veux pas devoir sa main à la contrainte de la gratitude, répondit Frank, toujours gentleman.

— Vous parlez de gratitude. Ne connaissez-vous donc pas son cœur ? Vous ne savez pas… » Le comte s’interrompit et reprit après une pause : « Monsieur Hazeldean, je n’ai pas besoin de vous apprendre que notre maison est l’une des premières de l’Europe. Mon orgueil m’a fait autrefois disposer de la main de ma sœur en faveur d’un homme qu’elle n’aimait pas, parce qu’il était son égal par le rang ; je ne retomberai pas dans une semblable erreur, Béatrice même voulût-elle se laisser contraindre une seconde fois ; elle n’épousera que l’homme qu’elle aimera. Si, comme je le crois, elle agrée votre demande, ce sera uniquement par affection. En ce cas, j’accepterais vos offres sans scrupules, ce ne serait que le prêt d’un beau-frère, un prêt fait à moi, et non imputable sur la fortune de ma sœur. Vous aurez soin, monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers Lévy avec son grand air, vous aurez soin de voir à ce qu’il en soit ainsi. Si Béatrix refuse, M. Hazeldean, il ne faut pas songer à ce prêt, je vous le répète. Permettez que je vous quitte. Il faut que, d’une façon ou de l’autre, tout ceci soit décidé sur-le-champ. Le comte s’inclina cérémonieusement et sortit du salon.

« Si le comte, reprit Lévy du ton d’un simple homme d’affaires, si le comte paye les dettes de sa sœur, et que la fortune de la dame ne soit grevée que des vôtres, ce ne sera pas après tout un mauvais mariage aux yeux du monde, ni probablement aux yeux de votre père. Croyez-moi, nous obtiendrons le consentement de M. Hazeldean, et sans beaucoup de peine. »

Mais Frank n’écoutait pas Lévy, il n’écoutait plus que son amour, que son cœur qui battait violemment, agité par la crainte et l’espérance.

Lévy s’assit devant la table et dressa une longue liste de chiffres, une liste de chiffres pour deux comptes que le post-obit du Casino était destiné à effacer.

Après un certain espace de temps qui parut à Frank interminable, le comte reparut. Il prit Frank à part et d’un geste fit signe à Lévy de se retirer.

« Mon jeune ami, dit-il ensuite à Frank, ainsi que je l’avais deviné, le cœur de ma sœur vous appartient tout entier. Arrêtez, écoutez-moi jusqu’au bout. Je l’ai malheureusement informée de votre généreuse proposition, j’ai commis là une grande faute qui a failli tout gâter ; elle est si fière, si délicate, elle craint tant que vous ne vous laissiez entraîner à une imprudence que vous regretteriez plus tard, qu’elle va vous dire, j’en suis sûr, qu’elle ne vous aime pas, qu’elle ne peut consentir à votre demande, etc., etc. N’importe, un amant tel que tous ne se laisse pas facilement tromper. N’attachez donc pas trop d’importance à ses paroles, mais vous allez la voir, et vous en jugerez vous-même. Venez. »