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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/135

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Le comte, suivi de Frank, monta l’escalier et ouvrit la porte de la chambre de Béatrix. La marquise avait le dos tourné, mais Frank put voir qu’elle pleurait.

« J’amène mon ami afin qu’il plaide lui-même sa cause, dit le comte en français ; croyez-moi, ma sœur, ne sacrifiez pas un avenir de bonheur réel et solide à de vains scrupules ; prenez-y garde ! » Et il se retira laissant Frank seul avec Béatrix.

Alors la marquise, paraissant faire un violent effort, se retourna vers le jeune homme et, se levant, alla se placer en face de lui.

« Oh ! s’écria-t-elle en joignant les mains, c’est donc vrai ? Vous voulez me sauver du déshonneur, de la prison, et que puis-je vous donner en retour ? Mon amour ? Non, non ; je ne veux pas vous tromper. Jeune, noble et beau comme vous l’êtes, je ne vous aime cependant pas comme vous méritez d’être aimé. Allez ; quittez cette maison ; vous ne connaissez pas mon frère. Quittez-moi tandis que j’ai encore assez de force, assez de vertu pour refuser ce qui me protégerait contre lui. Oh ! je vous en conjure, retirez-vous, éloignez-vous !

— Vous ne m’aimez pas, dit Frank. Je ne m’en étonne pas, vous êtes si brillante, si supérieure à moi. Je renonce à mes espérances, je vais vous quitter comme vous me l’ordonnez ; mais du moins n’exigez pas que je renonce au privilège de vous servir. Quant au reste, honte à moi si je pouvais vous importuner de mon amour dans un pareil moment. »

Frank se retira doucement. Il ne s’arrêta pas dans le salon. Il écrivit dans l’antichambre une ligne à Lévy, le chargeant d’interrompre la saisie, le priant de lui apporter le soir les actes nécessaires, et surtout de ne rien dire au comte. Puis il quitta la maison et rentra chez lui.

Ce même soir Lévy vint le trouver ; les comptes furent réglés, les actes signés, et le lendemain matin Mme di Negra était libre de toute dette, mais une hypothèque considérable pesait sur la réversibilité du Casino ; dans l’après-midi Randal eut une longue conférence avec Béatrix ; le soir Frank reçut de Mme di Negra un billet raturé, taché de larmes dans lequel elle le mandait à Curzon-Street. Et lorsque Frank entra dans le salon de la marquise, Peschiera, qui était assis près de sa sœur, lui dit en se levant : « Mon cher beau-frère ! » et plaça la main de Béatrix dans la sienne.

« Vous consentez ? Vous consentez librement, volontairement ? » s’écria Frank.

Et Béatrix répondit :

« Ayez patience et je m’efforcerai de vous prouver toute ma… » puis elle s’arrêta court et sanglota tout haut.

« Je ne l’aurais jamais crue capable de sentiments aussi vifs, d’un attachement si profond, » dit le comte à demi-voix.

Frank l’entendit et son visage devint radieux. Peu à peu Mme di Negra se calma, et elle écouta avec ce qui parut à son jeune amant un tendre intérêt, mais qui n’était en réalité qu’une triste résignation, les joyeux plans d’avenir que lui soumettait Frank. Pour celui-ci les