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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/15

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un de ces législateurs particulièrement odieux aux gens en place ; membre indépendant, grand propriétaire, ne songeant pas plus à conquérir le pouvoir pour lui-même qu’à faire couper les chênes de son parc ; homme sans entrailles ni compassion pour ceux qui avaient une autre opinion, et une fortune moins magnifique que la sienne.

« Hum ! fit Randal avec humeur, et d’abord, sir John, les ministres ne tomberont pas.

— Oh, que si, qu’ils tomberont ! Vous savez que je vote généralement pour eux, et quant à moi, je les maintiendrais volontiers ; mais ce sont des hommes de cœur et d’honneur, et puisqu’ils ne peuvent faire adopter leurs mesures, il faut bien qu’ils renoncent au pouvoir ; autrement, par Jupiter ! je tournerais casaque et je voterais moi-même contre eux.

— Je n’en doute pas, sir John, vous en êtes bien capable ; ceci est une affaire entre vous et vos électeurs. Mais quand même les ministres sortiraient, pourquoi moi qui n’occupe qu’un poste subalterne, qui ne suis pas ministre, devrais-je sortir aussi ?

— Pourquoi ? Ah çà, Leslie, vous moquez-vous de moi ? Un jeune homme comme vous n’aurait jamais la bassesse de rester avec ceux-là mêmes qui auraient renversé votre ami Egerton !

— En vérité, sir John, dit Randal reprenant un air gracieux, tandis qu’intérieurement il anathématisait le membre de son comté, je suis si novice dans ces sortes de choses, que ce que vous venez de me dire ne m’avait pas frappé tout d’abord. Vous avez sans doute raison ; dans tous les cas, je ne saurais avoir là-dessus un meilleur conseiller que M. Egerton lui-même.

Sir John. Certainement, c’est un parfait gentleman qu’Egerton. Je voudrais que nous pussions le réconcilier avec Hazeldean.

Randal (soupirant). Ah ! plût à Dieu !

Sir John. Nous aurons maintenant quelque chance d’y réussir, car le temps approche où tous les hommes de l’ancienne école auront besoin de s’unir et de se tenir fermes.

Randal. C’est parler sagement, mon cher sir John. Mais veuillez m’excuser, il faut que j’aille rendre mes devoirs à l’ambassadeur

Une heure plus tard, alors que Randal cherchait son manteau dans le vestibule, il fut rejoint par Audley Egerton.

« Ah ! Leslie, dit le ministre avec plus de bienveillance que de coutume, si vous ne craignez pas le froid, allons-nous-en à pied ; j’ai renvoyé ma voiture. »

Tant de condescendance était chose si rare chez son patron, que Randal surpris eut le pressentiment d’un malheur.

Lorsqu’ils furent dehors, Egerton, après un instant de silence, dit :

« Mon cher Leslie, je me flattais de vous avoir du moins pourvu du nécessaire, et j’espérais vous ouvrir par la suite une carrière plus brillante. Chut ! Je ne doute pas de votre reconnaissance ; écoutez-moi. Il est possible que, d’après certaines mesures prises par le gouvernement, nous soyons battus à la Chambre des communes, et que naturellement nous nous retirions. Je vous dis ceci d’avance, afin que