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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/155

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violemment vers son cœur, colora soudain son visage d’une vive rougeur. Elle prit la main d’Hélène et dit d’une voix sourde :

« Un autre ! fiancée à un autre ! Un mot, un seul mot, Hélène ; dites-moi que ce n’est pas à Harley… à…

— Je ne puis rien dire ; j’ai promis de me taire, » dit en pleurant la pauvre Hélène, et lorsque Violante eut laissé retomber sa main, elle s’enfuit.

Violante s’assit machinalement ; elle se sentait comme étourdie par un coup mortel. Elle ferma les yeux et respira bruyamment, puis bientôt succomba à un évanouissement. Lorsqu’elle revint à elle, il lui sembla qu’elle était un autre être et que tout avait changé autour d’elle ; qu’elle n’existait plus que par le sentiment d’une immense douleur, et que l’univers était maintenant vide et inanimé. Nous sommes des êtres si étrangement immatériels, nous autres créatures de chair et de sang, que souvent en ôtant à notre âme une seule pensée, on semble avoir obscurci l’air, éteint le soleil, brisé tous les liens qui nous attachaient à la matière, et avoir tout engourdi dans la mort, excepté la souffrance.

Cette jeune et brillante nature méridionale, un moment auparavant était si pleine de vie, de joie, de vigoureux espoir ; jusqu’ici elle avait elle-même ignoré sa puissance et sa profondeur. La vierge n’avait jamais soulevé le voile qui couvrait le cœur de la femme. Qu’avait été jusqu’ici Harley pour Violante ? Un être idéal, un rêve de perfection imaginaire, un type de poésie au milieu de ce monde vulgaire. Elle ne voyait pas en lui l’homme, mais le rêve ; elle ne s’était jamais dit : « Il est identifié avec mes espérances ; mon pays, mon avenir. » Comment l’eût-elle fait ? Il n’avait jamais parlé de ces choses ; une voix intérieure avait, il est vrai, vaguement murmuré au cœur de Violante qu’en dépit de la légèreté de ses paroles, ses sentiments envers elle étaient graves et profonds. Oh ! combien cette voix était mensongère ! Elle devina en un moment tout ce qu’Hélène n’avait pas dit, et elle apprit du même coup ce que c’est qu’aimer, et ce que c’est que désespérer. Elle demeura là assise, abattue et solitaire, sans murmurer ni pleurer, passant seulement de temps à autre sa main sur son front comme pour en chasser un souvenir importun, ou poussant un profond soupir, comme pour soulever un poids dont aucun effort ne pouvait la décharger. Il y a dans la vie certains moments où nous nous disons : « Tout est fini ; n’importe ce qui arrive, ce qui m’était tout est perdu pour jamais. » Et notre pensée engourdie ne sait répéter que ces mots : « Pour jamais ! pour jamais ! »