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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/154

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Hélène dit ces derniers mots d’un ton mélancolique et poussa un soupir.

Violante (avec enthousiasme). Combien je vous envie ce passé dont vous parlez si légèrement ! Avoir contribué dès l’enfance à la formation d’une noble nature ; avoir porté sur ces frêles épaules la moitié du fardeau d’un homme ; voir aujourd’hui le génie marchant d’un pas ferme dans sa noble carrière, et pouvoir se dire intérieurement : « Je suis une partie de ce génie. »

Hélène (d’un ton humble et triste). Une partie ? Oh ! non. Une partie ? Je ne vous comprends pas.

Violante. Sans Béatrix, aurions-nous eu le Dante ? Qu’est-ce que le génie du poète sinon le reflet de ses émotions ? Tout dans la vie et dans la nature agit sur le génie, mais ce qui l’influence par-dessus tout ce sont ses chagrins et ses affections. »

Hélène regarde doucement le visage éloquent de Violante, et se rapproche affectueusement d’elle.

Violante (avec chaleur). Oui, Hélène, mon propre cœur m’aide à lire dans le vôtre. De tels souvenirs sont ineffaçables. Comment Léonard ne vous serait-il pas cher entre tous, plus cher que qui que ce soit ?

Hélène (troublée). Chut, chut ! Il ne faut pas me parler ainsi ; c’est mal ; je ne saurais vous écouter. Cela n’est pas ; cela ne doit pas, ne peut pas être. »

Hélène cacha un instant sa figure dans ses mains, puis releva la tête et laissa voir un regard triste mais calme.

Violante (entourant de son bras la taille d’Hélène). En quoi ai-je pu vous blesser, vous offenser ? Excusez-moi, mais quel mal y a-t-il à ce que j’ai dit ? Pourquoi cela ne doit-il pas être ? Est-ce parce qu’il vous est inférieur par la naissance ?

Hélène. Non, non, je n’ai jamais songé à cela. Et moi que suis-je donc ? Ne me questionnez pas, je ne puis vous répondre. Je ne puis voir en Léonard qu’un frère. Mais vous, vous pouvez lui parler plus librement que moi. Je ne voudrais pas que son cœur se consumât dans une vaine affection, ni qu’il me crût froide et hautaine comme je le parais. Je ne sais pas ce que je dis… mais… mais… dites-lui indirectement, doucement, que le devoir nous interdit à tous les deux… d’être autre chose que des amis… que…

— Hélène, Hélène ! s’écria Violante, votre cœur se trahit dans chacune de vos paroles. Vous pleurez… appuyez-vous sur moi ; confiez-vous à moi. Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il ? Craignez-vous que votre tuteur ne refuse son consentement ?

— Oh ! taisez-vous ! taisez-vous !

— Quoi ! Vous redoutez Harley, lord L’Estrange ? fi ! vous ne le connaissez pas.

— Arrêtez, Violante ! s’écria Hélène se levant soudain, je suis la fiancée d’un autre. »

Violante se leva aussi et demeura immobile comme une statue de pierre et pâle comme la mort, jusqu’à ce que le sang, qui avait reflué