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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/169

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— Laissez vos domaines à qui vous voudrez ; tout ce que j’ambitionne est ici ! »

Le squire demeura un instant immobile à contempler son fils, s’émerveillant de la force de cette passion, que ceux-là seulement peuvent comprendre qui sont sous le charme, et qui sacrifie à son autel fatal l’avenir comme le passé. Le père passa rapidement sa main sur ses yeux pour y essuyer une larme qui avait jailli de son cœur gonflé et indigné ; puis il fit entendre un son inarticulé, et voyant que parler lui était impossible, il se dirigea vers la porte et quitta la maison.

Il traversa les rues, la tête haute, comme fait un homme orgueilleux qui vient d’être profondément blessé et qui s’efforce de secouer des sentiments qu’il regarde comme une faiblesse ; ses mains tremblantes tortillaient les boutons de son habit, qu’il voulait croiser sur sa poitrine, comme pour se confirmer dans une résolution contre laquelle son cœur protestait.

Le lecteur se demande peut-être où il allait ainsi, et c’est avec étonnement qu’il le verra s’arrêter dans Grosvenor-Square, à la porte du vaste hôtel de son frère.

Le squire demanda si M. Egerton était chez lui ; le concierge sonna le valet de chambre ; celui-ci voyant un étranger, dit qu’il ignorait si son maître était visible, mais qu’il allait s’en assurer.

« Ah ! murmura le squire, voilà ce qu’est devenue la parenté ! Mon fils me préfère bien une étrangère, pourquoi me plaindrais-je d’être traité en étranger dans la maison de mon frère ? Veuillez, reprit le squire à haute voix et avec douceur, veuillez dire à votre maître que je me nomme William Hazeldean, »

Le domestique salua très-bas et, sans un mot de plus, conduisit le squire dans la bibliothèque de l’homme d’État, dont il referma la porte après avoir annoncé M. Hazeldean.

Audley était assis devant son bureau, les coffres de fer toujours près de lui ; mais cette fois ils étaient fermés, et l’ex-ministre examinait, non plus des documents officiels, mais des lettres d’une nature bien différente ; il tenait dans sa main une longue boucle de cheveux blonds qu’il regardait avec tristesse. Il tressaillit en entendant nommer le squire, et instinctivement serra dans sa poitrine cette relique de ses jeunes années, gardant la main sur son cœur, qui battait violemment sous la légère pression de cette boucle dorée.

Les deux frères se tinrent debout devant le foyer de l’homme d’État, se regardant en silence, chacun remarquant involontairement les changements que le temps avait amenés chez l’autre depuis qu’ils ne s’étaient vus.

Le squire, avec sa taille épaisse, ses joues hâlées, son front chauve et sans rides, paraissait ce qu’il était, un homme qui a dépassé le milieu de la vie ; on ne pouvait méconnaître en lui le pater familias, l’époux et le père, l’homme des liens domestiques et sociaux. Mais Audley, qui avait de fait quelques années de moins que le squire,