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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/170

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malgré les lignes qu’avaient tracées sur sa belle figure les soucis et les angoisses de l’ambition, conservait encore la grâce de la jeunesse. Les hommes des villes restent jeunes plus longtemps que ceux de la campagne, c’est là une observation qui n’a pas échappé à Buffon et dont il donne les raisons. Egerton n’avait rien de l’homme marié, car la solitude avait gravé son empreinte ineffable sur l’homme dont la vie était depuis si longtemps isolée,

Audley fut le premier à parler et à avancer la main. « C’est bien à vous, William, dit-il de sa voix grave et sonore. Vous venez me voir aujourd’hui que je suis ce que les hommes appellent déchu. Le ministre que vous blâmiez n’est plus, vous revenez voir le frère. »

Le squire fut calmé et attendri par ces paroles. Il serra cordialement la main qui lui était tendue, puis, secouant la tête pour désavouer honnêtement le motif que lui attribuait Egerton : « Non, non, Audley, dit-il, je suis plus égoïste que vous ne le croyez. Je suis venu… je suis venu pour vous demander votre avis… non, votre opinion… mais vous êtes occupé…

— Asseyez-vous, William. Lorsque vous êtes entré, j’étais plongé dans les souvenirs des anciens jours ; votre présence m’en rappelle de plus anciens encore et de ces jours qui ne laissent point d’ombres, alors que leurs soleils sont couchés. »

L’orgueilleux ministre sembla craindre d’en avoir trop dit. Sa nature positive rougissait de ce sentiment et de cette expression poétiques. Il ajouta d’un ton plus froid : « Vous venez me demander mon opinion ? sur quoi ? sur quelque affaire politique… quelque bill du Parlement qui atteint vos propriétés ?

— Au diable soient mes propriétés ! Il s’agit bien de propriétés quand un homme est frappé au cœur ! Ah ! bien oui ! la propriété ! Mais vous n’avez pas d’enfants, vous, vous êtes bien heureux !

— Oui, comme vous le dites, je suis très-heureux ! — Votre fils vous aurait-il mécontenté ? J’ai entendu dire beaucoup de bien de lui dernièrement.

— Laissons là mon fils. Que sa conduite soit bonne ou mauvaise, c’est mon affaire, » dit le pauvre père avec impatience, également incapable d’entendre Audley louer ou blâmer son fils rebelle. Puis il se leva un instant, respira bruyamment, comme un homme qui manque d’air, et posant sa large main brune sur l’épaule de son frère, lui dit : « Randal Leslie me dit que vous êtes un homme sage et d’une expérience consommée. Je n’ai pas de peine à le croire. Le curé Dale ajoute que vous avez un cœur chaud et dévoué, ce qui me paraît plus étonnant chez un homme qui a vécu si longtemps à Londres, qui n’a ni femme ni enfant… un homme veuf, membre du Parlement, et de plus représentant une ville de commerce. Ne riez pas, tout ceci n’a rien de risible pour moi, je vous assure. Vous connaissez une étrangère qu’on appelle Négra ou Nègre — bien qu’elle ne soit pas noire le moins du monde — au moins à l’extérieur. Est-ce là une femme qu’un gen-