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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/179

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CHAPITRE LII.

Léonard restait debout près de l’enveloppe mortelle de son ami, et il contemplait, dans ce sourire ineffable de la mort, le dernier rayon qu’y avait laissé l’âme. Après quelque temps il retourna dans la chambre voisine d’un pas aussi léger que s’il eût craint de réveiller le mort. Bien que fatigué de cette longue veille, il sentit qu’il lui serait impossible de dormir. Il s’assit devant la petite table et appuya sa tête sur ses mains, réfléchissant tristement. Ainsi s’écoulait le temps. Il comptait les heures que sonnait en bas l’horloge du vestibule ; dans la maison de mort le son d’une horloge a je ne sais quoi de solennel, car pour l’âme que nous regrettons le temps a cessé d’exister. Une sorte de terreur superstitieuse envahit par degrés l’âme du jeune homme. La lune avait disparu, l’aube grise et froide l’éclairait seule, et sa lumière blafarde pénétrait par la porte ouverte jusque dans la chambre mortuaire.

Et là, près du foyer éteint, Léonard distinguait l’hôtesse veillant encore et pleurant tout bas. Il alla vers elle pour lui dire quelques paroles de consolation, elle lui serra la main, puis lui fit signe de se retirer. Il la comprit ; elle ne voulait d’autre consolation que le soulagement de ses larmes silencieuses. Il retourna de nouveau dans sa chambre et cette fois ses regards tombèrent sur les papiers dont Burley lui avait parlé. Pourquoi son cœur se serra-t-il soudain et le sang courut-il si rapidement dans ses veines ? Pourquoi prit-il ces papiers d’une main tremblante, puis les remit-il sur la table (comme si le courage lui eût manqué), pourquoi les examina-t-il ensuite si avidement ? C’est qu’il avait reconnu l’écriture fine et délicate de ces poèmes touchants dont la lecture avait été le grand événement de son adolescence. La mystérieuse figure de Nora se dressait de nouveau devant lui, et il se sentait en présence d’une mère. Il ferma doucement la porte, comme s’il eût voulu exclure avec une piété jalouse, jusqu’à celui qui habitait maintenant le monde des esprits et s’enfermer seul avec le doux fantôme.

Les papiers avaient dans l’origine été cousus ensemble. Ils s’étaient détachés, peut-être entre les rudes mains de Burley, mais l’ordre en était facile à retrouver. Léonard vit bientôt qu’ils formaient une sorte de journal, non pas cependant régulièrement daté, et rapportant les événements de chaque jour. Il y avait des vides, des intervalles, et l’auteur ne s’était pas attaché à une narration suivie. Parfois la prose était remplacée, par une rapide effusion poétique, jaillissant du cœur ; d’autres fois le récit abandonné se résumait dans une seule ligne brûlante, une seule exclamation de joie ou de douleur ! Partout