Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE LIII.

Nora Avenel, pour fuir l’amour d’Harley, s’était placée comme dame de compagnie chez une parente valétudinaire de lady Lansmere, à laquelle celle-ci l’avait recommandée. Mais lady Lansmere ne pouvait croire que la généreuse fierté de la pauvre fille résistât longtemps à l’ardente affection de celui qui avait à lui offrir la perspective d’une couronne de comtesse. Elle représentait continuellement à lady Jane la nécessité de marier Nora à un homme d’un rang plus rapproché du sien et autorisait son amie à promettre en son nom une riche dot à la jeune fille. Lady Jane chercha autour d’elle et découvrit sur les confins de ses relations sociales, fort peu étendues d’ailleurs, un jeune procureur, fils naturel d’un lord, et qui était en relation avec les fashionables clients dont la détresse temporaire avait été l’origine de sa fortune. Le jeune avocat était bel homme, élégant et poli. Lady Jane l’invita chez elle, et s’apercevant que la rare beauté de Nora l’avait frappé, elle fit briller à ses yeux la dot promise à celle-ci par la comtesse.

Le procureur fashionable, qui plus tard devint le baron Lévy, n’avait pas besoin de ce stimulant, car bien que pauvre il comptait sur lui-même pour arriver à la fortune, et à l’opposé de Randal, un sang ardent courait dans ses veines. Mais les ouvertures de lady Jane le rendirent confiant dans le succès, et lorsque, après avoir fait une demande positive, il essuya un refus également positif, son amour propre fut cruellement blessé. La vanité était la passion dominante de Lévy ; il s’éloigna dissimulant sa rage, et ignorant lui-même à quel point cette rage, que le temps changea en froide malignité, pouvait devenir haineuse et vindicative, jusqu’à ce que le démon de l’Occasion vînt lui suggérer les moyens de la satisfaire.

Lady Jane fut d’abord irritée du refus de Nora ; mais la grâce touchante de cette charmante fille lui avait peu à peu gagné le cœur, avait triomphé même de ses préjugés nobiliaires, et lady Jane finit par s’avouer que Nora méritait mieux que M. Lévy.

Harley avait toujours cru que Nora lui rendait amour pour amour et que la reconnaissance qu’elle devait à lady Lansmere, et un instinct de fierté et de délicatesse, l’empêchaient seuls d’écouter ses prières. Nous lui devons cette justice que, tout opiniâtre et tout passionné qu’il fût, il eût sur-le-champ cessé ses poursuites s’il eût pu croire qu’elle les regardait comme une persécution. Cette erreur était naturelle, car sa conversation avant qu’il eût parlé d’amour, avait ébloui et charmé l’enfant de génie dont les yeux avaient exprimé franchement ce ravissement. Comment Harley eût-il, à son âge, distingué le poète