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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/183

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d’avec la femme ? Le poète se plaisait aux promesses d’une âme dont les erreurs mêmes attestaient la richesse et la beauté ; mais à la femme il fallait une nature developpée, épanouie, complète. Harley n’était encore qu’un adolescent, et Nora était de celles dont l’idéal est l’homme qui commande, qui impose l’amour.

Harley parvint à découvrir la nouvelle résidence de Nora. Il se présenta chez lady Jane qui lui interdit sa maison ; il lui fut impossible de voir Nora. Il écrivit, mais il ne douta pas que ses lettres ne fussent interceptées, puisqu’elles restaient sans réponse. Son jeune cœur débordait de rage. Il proféra des menaces qui excitèrent les craintes de lady Lansmere et même les prudentes appréhensions de son ami Audley Egerton. À la prière de la mère, aussi bien que d’après le désir du fils, Audley Egerton consentit à se rendre chez lady Jane pour faire connaissance avec Nora, et sincèrement désireux de détourner son ami d’une imprudence qu’il regardait comme fatale, il résolut d’examiner cette perle fameuse et d’en découvrir les défauts. Audley était alors dans la fleur de son ardente et ambitieuse jeunesse. À la dignité naturelle de ses manières se joignaient une suavité et un fini qu’en dépit de l’âge et des affaires il n’avait jamais complètement perdus, car, malgré la parole brève et le regard froid dont l’exercice du pouvoir fait contracter l’habitude, le ministre avait toujours joui de cette popularité personnelle que peut seule donner ce je ne sais quoi qui plaît et qui attire. Il avait dès lors, comme il l’eut toujours depuis, cette gracieuse réserve que La Rochefoucauld nomme le mystère du corps, ce voile léger, mais protecteur, qui ne laisse apercevoir que le contour extérieur du caractère et excite l’intérêt en provoquant les conjectures.

L’impression que produisit tout d’abord cet homme sur Nora fut étrange et profonde. Elle avait entendu parler de lui comme de la personne qu’Harley aimait et révérait le plus, et elle reconnut sur-le-champ dans son maintien, dans son aspect, dans sa parole, jusque dans les accents de sa voix mâle et sonore, cette puissance qu’une femme, quel que soit son génie, ne possède jamais, et à laquelle, par cela même, elle attribue généralement une noblesse qui n’est pas toujours réelle : la puissance de desseins arrêtés et d’une ambition sereine et recueillie. Nora ne produisit pas sur Egerton un effet moins subit. Il fut surpris par une beauté de formes et de visage de l’ordre le plus rare : il fut plus étonné encore de découvrir que la noblesse de l’âme pouvait communiquer une grâce qu’on demanderait vainement à l’aristocratie de naissance. Il s’était attendu à trouver une villageoise simple, timide, rougissante, et voici qu’involontairement son front altier s’inclinait à la première vue de cette délicate fraîcheur, de cette exquise douceur qui est le titre le plus assuré de la femme au respect de l’homme. Ce ne fut qu’après plusieurs entrevues qu’il eut le courage de s’occuper de sa mission et de parler d’Harley. Et quand il le fit, ce fut en balbutiant. Mais il comprit clairement les paroles de Nora ; il vit qu’Harley n’était pas aimé, et à cette pensée une joie coupable envahit tout son être. Audley s’en revint agité et mécontent de lui.