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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/192

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— Vous vous ferez curé de campagne !

— Et j’apprendrai à être heureux. Je l’ai déjà été ; et c’est lorsqu’elle était près de moi. Expliquez-lui tout. Je crains que cette lettre ne soit trop sévère, mais douter ainsi de moi ! »

Lévy mit la lettre dans son portefeuille et prit aussitôt congé d’Egerton, de crainte qu’il ne vînt à la lui redemander.

Et il fit de cette lettre un usage tel, que le lendemain du jour où il l’avait remise à Nora, celle-ci avait quitté la maison, le pays ; elle avait fui sans laisser de traces. De toutes les angoisses de la vie, la plus poignante et la plus cruelle, celle qui anéantit le plus violemment la raison, et fait que tout notre être n’est plus qu’un cœur déchiré et ensanglanté, c’est la conviction d’avoir été trompé là où nous avions mis toute la confiance de l’amour. L’ancre ainsi arrachée, l’orage s’élève et les étoiles disparaissent sous les plus sombres nuages.

Lorsque Lévy revint, plein de l’infâme pensée qui l’avait stimulé dans sa vengeance : l’espoir que s’il réussissait à changer en mépris l’amour de Nora pour Audley, il parviendrait peut-être à se substituer à l’idole brisée et dégradée, il apprit avec terreur le départ de la jeune femme. Il la chercha vainement pendant plusieurs jours. Il alla chez lady Jane Horton ; Nora n’y avait point paru. Il n’osait retourner chez Egerton. Sans doute Nora avait écrit à son mari, et, malgré sa promesse, avait révélé à celui-ci les mensonges de Lévy ; mais les jours s’écoulant sans lui apporter aucune lumière à ce sujet, il fut obligé de retourner à Egerton-Hall, en prenant soin que le château fût toujours entouré de recors. Audley n’avait pas reçu une seule ligne de sa femme ; il était surpris, inquiet, mais il ne soupçonnait aucunement la vérité.

À la fin Lévy fut obligé d’apprendre à Audley la fuite de Nora. Il la colora à sa façon. Nora s’était sans doute réfugiée chez ses parents, afin de prendre, d’après leurs avis, des mesures pour rendre son mariage public. Cette idée changea la douleur qu’avait d’abord ressentie Audley en un profond mécontentement. Il comprenait si peu Nora, et il était toujours si disposé à voir les choses selon ce qu’il appelait le sens commun, qu’il ne vit aucun autre moyen d’expliquer sa fuite et son silence. Si odieux que parût à Egerton un tel procédé, il était trop fier pour s’y opposer.

« Qu’elle fasse tout ce qu’elle voudra, dit-il froidement, contenant son émotion avec son empire accoutumé sur lui-même, cela occupera le monde pendant quelques jours, mes créanciers s’élanceront sur leur proie avec plus d’ardeur encore…

— Et lord L’Estrange vous enverra un cartel.

— Soit, fit Egerton en portant soudain la main à son cœur.

— Qu’y a-t-il ? Êtes-vous malade ?

— J’éprouve une sensation singulière. Mon père est mort d’une maladie de cœur, et l’on m’a conseillé à moi-même d’éviter les émotions violentes ; cet avis me faisait sourire alors. Allons, il faut se mettre au travail. »