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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/191

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sont des recors, et c’est pour cette raison que je suis venu vous trouver aujourd’hui. Vous ne pouvez sortir de chez vous. »

Egerton recula. « Et cette lettre folle et frénétique, » murmura-t-il en frappant du poing la page ouverte, toute remplie d’amour malgré la terreur qu’elle exprimait.

« Elle m’a déjà écrit, continua Egerton en arpentant la chambre avec colère, pour me demander de publier notre mariage, et ma réponse aurait satisfait toute femme raisonnable. Mais ceci est pire que tout ; la voici maintenant qui doute de mon honneur, à moi qui lui ai tout sacrifié ! Elle me soupçonne, moi, Audley Egerton, un gentilhomme anglais, d’avoir été assez lâche pour…

— Pour tromper votre ami Harley ; ne le savait-elle pas ? interrompit Lévy.

— Monsieur ! s’écria Egerton pâle de colère.

— Ne vous fâchez pas ; en amour comme en guerre tout est légitime, et L’Estrange vous remerciera un jour de lui avoir épargné une telle mésalliance. Mais je m’aperçois que je vous ai blessé, pardonnez-moi, je vous prie. »

Non sans difficulté, et à force de courbettes, l’usurier parvint à apaiser l’orage qu’il avait soulevé dans l’âme d’Egerton, et il apprit alors de lui, avec un feint étonnement, le doute qu’exprimait la lettre de Nora.

« Il est indigne de moi de répondre à un tel soupçon, et bien plus encore de m’en justifier, dit Audley ; si j’avais pu la voir, un coup d’œil de reproche aurait suffi ; mais m’abaisser à écrire : « Je ne suis pas un coquin et je vais vous en donner les preuves, » c’est ce que je ne ferai jamais !

— Vous avez raison ; mais ne serait-il pas possible de concilier votre fierté et les sentiments de votre femme ? Si vous lui écriviez simplement ceci : « Tout ce que vous souhaitez savoir, j’ai chargé Lévy, comme mon homme d’affaires, de vous l’expliquer ; croyez ce qu’il vous dira comme vous me croiriez moi-même. »

— Après tout elle mérite d’être punie, et je suppose qu’une pareille réponse la punira davantage que de plus longs reproches. Mon esprit est si bourrelé d’affaires, que je n’entends rien à ces craintes et à ces caprices de femme. Là, j’ai écrit ce que vous me conseillez. Donnez-lui toutes les preuves qu’elle demande, et dites-lui que dans six mois, au plus tard, arrive que pourra, elle portera le nom d’Audley Egerton.

— Pourquoi dans six mois ?

— D’ici là, le Parlement aura été dissout et des élections générales auront eu lieu. Je serai député, en sûreté contre la prison ; j’aurai conquis une arène pour mon énergie, ou bien…

— Ou bien quoi ?

— Je renoncerai à toute ambition, je prierai mon frère de m’aider à payer les dettes qui pourront me rester après la vente de toutes mes propriétés ; cela ne saurait être considérable. Il dispose d’un bénéfice dont le titulaire est, m’a-t-on dit, vieux et très-malade. J’entrerai dans les ordres.