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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/196

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CHAPITRE LIV.

Sous le vieux saule voisin de la maison d’Avenel, Nora, la fille de John Avenel, épuisée, haletante, était accroupie, prêtant l’oreille. Après avoir lu ce fatal paragraphe qui mentait avec tant de vraisemblance, elle obéit à la première impulsion de son cœur passionné, elle arracha de son doigt l’anneau nuptial et l’envoya à Audley avec le paragraphe lui-même, dans une lettre où elle avait voulu exprimer le mépris et la fierté, et qui n’exprimait, hélas ! que l’amour et la jalousie. Elle n’eut pas de repos qu’elle n’eût mis elle-même à la poste cette lettre, adressée à Audley chez lord Lansmere. À peine la lettre fut elle partie que Nora se repentit. Qu’avait elle fait ? Elle avait renoncé aux droits de l’enfant qu’elle allait mettre au monde, renoncé à la dernière espérance de l’honneur de son amant, renoncé à ce qui lui était plus cher que la vie, et cela sur la foi d’un journal ! Non, non ; elle irait elle-même à Lansmere, chez son père, et elle verrait Audley avant qu’il eût reçu cette lettre. À peine ce projet fut-il conçu qu’elle le mit à exécution. Elle trouva une place dans une diligence qui partait de Londres trois heures avant la malle-poste, et en descendit à quelques milles de Lansmere. Elle fut obligée de faire ce trajet à pied. Épuisée, elle arriva enfin en vue de la maison paternelle, et là elle s’arrêta, car elle avait aperçu ses parents assis dans leur petit jardin. Elle entendit le murmure de leurs voix, et soudain elle se rappela le changement de sa taille, son terrible secret. Comment répondrait-elle à cette question : « Ma fille, quel est ton mari, et où est-il ? » Son cœur défaillit, elle se glissa sous le vieux saule pour réfléchir un instant, pour écouter, pour voir. Elle vit la face rigide de sa mère, avec les rides profondes qu’y avaient creusées les soucis d’une vie dure et laborieuse et la lutte continuelle d’un caractère impatient et d’affections ardentes contre la réserve de l’orgueil et du décorum ; cette chère figure jamais ne lui avait paru plus chère ni en même temps plus austère. Elle vit son père gai, insoucieux, satisfait ; non pas alors le pauvre paralytique, qui cependant avait reconnu les yeux de Nora sous les paupières de Léonard, mais robuste et jovial, le première crosse du cricket-club, le premier chanteur de la société chorale, le champion le plus intrépide du parti bleu à Lansmere, l’orgueil et l’idole de l’austère épouse calviniste ; jamais des lèvres pincées de celle-ci n’était sorti même un pieux reproche pour l’homme gai, insouciant et sociable. Assis une main dans sa veste, son profil tourné vers la route, une légère fumée s’échappant de sa pipe, sur laquelle ses lèvres accoutumées au sourire bienveillant ou au rire jovial se fermaient comme avec effort, John était la person-