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nification du marchand respectable retiré avec une honnête aisance, délivré du souci de gagner de l’argent alors qu’il pouvait encore jouir du plaisir d’en dépenser.

« Il faut que j’aille trouver ces trois votants indécis de Fish Lane, dit-il, ils vont quitter l’ouvrage et je les pincerai à leur rentrée chez eux. On dit que nous aurons peut-être de l’opposition, et je sais que le vieux Smikes est parti pour Londres à la recherche d’un candidat. Nous ne pouvons laisser battre les bleus de Lansmere par un Londonien. Ha ! ha ! ça serait joli !

— Mais tu seras ici j’espère pour l’arrivée de Jeanne et de son mari ? Comment a-t-elle pu se résoudre à épouser ce charpentier ?

— Tout charpentier qu’il est, il a un vote, et cela augmente l’influence électorale de la famille. Si Dick n’était pas parti pour l’Amérique, nous serions trois ; mais Mark est un bleu, et solide. — Un Londonien, vraiment ! Ah ! je voudrais bien voir qu’un Londonien battît milord et les bleus ! ha ! ha !

— Mais, John, ce monsieur Egerton n’est-il pas de Londres ?

— Tu n’y entends rien, ma femme. M. Egerton est le candidat des bleus, et les bleus sont le parti de la campagne ; par conséquent comment pourrait-il être Londonien ? C’est un bel homme et un habile homme ; de plus, il est l’ami particulier du jeune lord. »

Mistress Avenel soupira.

« Qu’est-ce qui te fait soupirer et secouer la tête ?

— Je pensais à notre pauvre chère Nora.

— Que Dieu la bénisse ! » dit John d’un air sérieux.

Un léger bruit se fit entendre du côté du vieux saule.

« Ah ! ah ! Écoute ! J’ai dit cela si haut que j’ai effarouché les corbeaux.

— Comme il l’aimait ! fit mistress Avenel d’un air pensif ; et rien d’étonnant, car elle a l’air d’une grande dame de la tête aux pieds ; et pourquoi ne deviendrait-elle pas milady, après tout ?

— Qui ? Oh ! te voilà encore avec ta folie à propos de notre jeune lord ? Une femme raisonnable comme toi ! Je suis bien aise de savoir ma petite beauté à Londres, à l’abri de tout danger.

— John, John ! Il n’y aura jamais de danger pour Nora. Elle est trop pure et trop vertueuse, et aussi trop fière pour…

— Pour écouter les jeunes lords, j’espère, dit John, quoique, après tout, ajouta t-il, c’est vrai qu’elle pourrait bien finir par être lady. Milord m’a pris la main l’autre jour en me disant : « N’avez-vous pas de ses nouvelles ? des nouvelles de miss Avenel veux-je dire ? » Et ses grands yeux brillants étaient aussi pleins de larmes que… que les tiens en ce moment.

— Eh bien après ? continue, John.

— C’est tout. Milady s’est ensuite avancée pour me parler de l’élection, et comme je la quittais, elle m’a dit à l’oreille : « Ne laissez pas mon fils vous entretenir de votre charmante fille. Nous devons tous deux veiller à la préserver du déshonneur. » Du déshonneur ! le mot me mit un moment en colère ; mais milady vous a une manière