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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/200

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mais ne faites pas de bruit, je vous en prie. Chut ! chut ! pas un mot ! »

La porte se referma ; la lune se leva et éclaira tranquillement la petite maison silencieuse, les fleurs du petit jardin et le vieux saule creux. Le cheval demeura attelé sans que personne y songeât ; la lumière brillait par instants à travers les fenêtres du premier étage. C’était le seul signe de vie qu’on aperçût au dehors.


CHAPITRE LV.

Pendant toute cette journée, Harley L’Estrange avait été plus triste et plus abattu que de coutume. Son retour dans un pays où tout lui parlait de Nora avait augmenté la tristesse qui le dévorait depuis qu’il avait perdu celle-ci. Audley, dans la tendresse pleine de remords qu’il éprouvait pour son ami, l’avait engagé vers le soir à quitter le château et à se rendre dans un district situé à plusieurs milles au delà, sous prétexte que sa présence y était nécessaire pour solliciter les voix de quelques électeurs ; le changement, pensait-il, détournerait peut-être le cours de ses rêveries. Harley lui-même, heureux d’échapper aux hôtes qui remplissaient le château, consentit volontiers au départ. Il ne devait pas revenir le même soir. Les électeurs dont il s’agissait étaient dispersés dans le pays : il lui faudrait donc être absent un jour ou deux. Lorsque Harley fut parti, Egerton lui-même tomba dans de profondes réflexions. On parlait d’une opposition inattendue ; ses partisans étaient inquiets et alarmés ; il était clair que l’influence des Lansmere était moins puissante que ne l’avait cru le comte. Egerton pouvait échouer dans son élection. En ce cas, que deviendrait-il ? Comment soutenir sa femme, sur le retour de laquelle il comptait toujours, et qu’il lui faudrait maintenant reconnaître, quoi qu’il pût advenir ? C’était ce jour-là qu’il avait parlé à William Hazeldean du bénéfice de famille.

« J’aurai du moins la paix, » se disait l’ambitieux. Le squire avait promis le prieuré, s’il devenait nécessaire, à Audley, non sans une secrète douleur, car son Harry usait déjà de son influence conjugale en faveur du mari de son ancienne amie de pension, M. Dale ; et de plus le squire pensait que son frère ne ferait jamais qu’un médiocre curé de campagne, tandis que Dale, lorsqu’il aurait un peu plus d’embonpoint que ne lui en permettait son modeste vicariat, serait un curé modèle, digne d’être choisi entre mille. Mais tandis qu’Audley se préparait ainsi à un échec possible, il usait de toute son énergie pour se conserver l’option la plus brillante. Il compulsait, avec son comité, les listes électorales, et discutait le caractère, la politique et les intérêts de chaque électeur jusque bien avant dans la nuit. Lors-