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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/201

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qu’il regagna sa chambre, la fenêtre était ouverte ; il s’en approcha et resta debout quelques instants à contempler la lune. En ce moment, la pensée de Nora, perdue et éloignée, se présenta à lui. Sa nature n’était, comme nous l’avons vu, ni romanesque ni sentimentale ; il était bien rare qu’il contemplât la lune et les étoiles. Mais quand quelque pensée touchante venait attendrir son vigoureux esprit, ou lorsque la lune et les étoiles arrachaient un instant ses regards à la terre, c’était le beau visage de Nora et ses yeux caressants qui lui apparaissaient dans les deux, sa voix douce et tendre qu’il entendait dans les murmures de cette poésie mystérieuse qui flotte sans cesse dans l’air sans que nous daignions l’écouter. Il se détourna avec un soupir, se déshabilla, se jeta sur son lit et éteignit sa lumière. Mais les rayons de la lune éclairaient la chambre ; ils le tinrent quelque temps éveillé, puis il se tourna résolument vers le mur et s’endormit. Dans son sommeil, il retrouva Nora ; il était avec elle dans l’humble cottage où il l’avait conduite. Jamais, dans aucun rêve, elle ne lui était apparue si distincte et si vivante, ses yeux étaient tournés vers les siens, ses mains jointes se reposaient sur son épaule, sa voix murmurait doucement : « Est-ce donc ma faute si nous avons été séparés ? Pardonne-moi, pardonne-moi ! » Et le dormeur croyait répondre : « Ne me quitte plus jamais… jamais ! » et se pencher pour baiser les chastes lèvres qui cherchaient les siennes. Soudain il entendit frapper, comme avec un marteau… un bruit régulier, mais bas et contenu.

Avez-vous jamais, lecteur, entendu le bruit d’un marteau sur le couvercle d’un cercueil dans une maison de deuil, alors que l’homme des pompes funèbres craint que les vivants n’entendent qu’il les sépare du mort ?

Tel parut ce bruit à Audley ; son rêve se dissipa brusquement. Il s’éveilla ; on frappait à sa porte. Il s’assit sur son lit ; la lune avait disparu, le jour commençait à poindre. « Qui est là ? » cria-t-il.

« Silence ! Répondit-on à voix basse du dehors : c’est moi ; habillez-vous promptement, il faut que je vous voie. »

Egerton reconnut la voix de lady Lansmere. Surpris et inquiet, il s’habilla à la hâte et ouvrit. La comtesse était debout près de la porte, extrêmement pâle. Elle mit un doigt sur ses lèvres et lui fit signe de la suivre. Il obéit machinalement. Ils entrèrent dans l’appartement de la comtesse, dont celle-ci referma la porte ; puis ensuite elle posa la main sur l’épaule d’Egerton, et lui dit avec une agitation contenue :

« Ah ! monsieur Egerton, il faut que vous veniez à mon secours… sur-le-champ… Harley… sauvez-le… allez le trouver… Empêchez-le de revenir ; restez avec lui, abandonnez votre élection… ce ne seront qu’une ou deux années de perdues ; vous retrouverez d’autres occasions… Faites ce sacrifice à votre ami.

— Parlez, qu’y a-t-il ? Je suis prêt à faire pour Harley tous les sacrifices.

— Oh ! merci, j’en étais sûre. Allez donc le trouver ; empêchez-le,