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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/214

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suite s’approcha vivement de Léonard. Mais vous, heureux poète ! aucun idéal n’est jamais perdu pour vous ; vous êtes indépendant de la vie réelle. Plût à Dieu que je fusse poète ! » Et il sourit tristement.

« Vous ne diriez sans doute pas cela, milord, répondit Léonard avec une égale tristesse, si vous saviez combien peu l’idéal compense, pour un poète, la perte d’une affection humaine. Indépendant de la vie réelle ? Hélas ! non. Et j’ai là les confessions d’une véritable âme de poète que je viens vous prier de lire quand vous en aurez le loisir ; après les avoir lues, vous me direz si vous regrettez encore de n’être pas poète. »

Et, en parlant, Léonard montrait à Harley le manuscrit de Nora.

« Mettez-le sur mon bureau, dit celui-ci ; je le lirai plus tard.

— Oh ! lisez-le dès que vous le pourrez, car il y a là des choses qui doivent décider de ma vie… des choses qui sont encore pour moi un mystère, et que vous pourrez m’expliquer, je l’espère.

— Moi ! s’écria Harley ; et il se dirigeait vers son bureau pour examiner aussitôt le manuscrit, lorsque la porte s’ouvrit encore une fois, mais avec violence, et Giacomo se précipita dans la chambre, suivi de lady Lansmere.

— Oh ! milord, milord ! s’écria Giacomo, la signorina ! la signorina !

— Qu’est-ce ? qu’y a-t-il ? — Ma mère, ma mère ! que lui est-il arrivé ? Parlez, je vous en conjure !

— Elle est partie… elle nous a quittés.

— Oh ! non, non ! s’écria Giacomo, elle ne nous a pas quittés ; il faut qu’on l’ait trompée ou emmenée de force. Le comte ! le comte ! Ô mon bon lord, sauvez-la ! sauvez-la comme vous avez sauvé son père !

— Silence ! fit Harley. Donnez-moi votre bras, ma mère. Un second coup de cette nature est au-dessus des forces d’un homme ! du moins au-dessus des miennes… Bien, bien, me voilà mieux ! Merci, ma mère. De l’air ! de l’air !… Ainsi donc, le comte triomphe et Violante s’est enfuie avec lui ! — Expliquez-moi tout ; je suis maintenant en état de le supporter. »