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s’était enfin éveillé, et qui regardait avec terreur autour du sombre et triste vestibule, Béatrix se retourna et dit : « Que la voiture attende. »

L’Italien qui reçut cet ordre s’inclina et sourit ; mais lorsque les deux dames eurent monté l’escalier, il rouvrit la porte d’entrée et dit au cocher :

« Retournez chez le comte et dites-lui que tout va bien. »

La voiture s’éloigna. L’homme qui avait donné l’ordre ferma et barra la porte, et prenant avec lui la grosse clef, disparut dans les profondeurs mystérieuses du sous-sol. Le vestibule demeuré solitaire avait le sombre aspect d’une prison, avec sa grosse porte doublée de fer, son escalier de pierre brute, éclairé par une étroite fenêtre assombrie par la poussière des années, et garnie de barreaux de fer, et ses murs çà et là grossièrement éperonnés, comme si l’on eût redouté la violence même au dedans.


CHAPITRE V.

C’était, comme nous l’avons vu, sans prendre conseil de la fidèle Jemima, que le sage reclus de Norwood, cédant à ses propres craintes et aux artificieuses suggestions de Randal, avait écrit la lettre laconique et arbitraire que celui-ci avait remise à Violante ; mais le soir, alors que les cimetières laissent échapper leurs morts, et les cœurs conjugaux les secrets qu’ils se sont mutuellement cachés pendant le jour, le sage informa sa femme de la mesure qu’il avait prise. Et Jemima, dont les idées anglaises différaient beaucoup de celles qui prévalent en Italie quant au droit qu’ont les pères de disposer de leurs filles, Jemima, disons-nous, représenta si sensément et cependant si doucement à l’élève de Machiavel qu’il n’avait pas précisément agi comme il fallait, s’il craignait que le beau comte n’eût fait quelque impression sur l’esprit de Violante, et s’il souhaitait qu’elle accueillît avec faveur le prétendant qu’il lui recommandait ; qu’un ordre si brusque ne pouvait que glacer le cœur, révolter la volonté de sa fille, et même prêter à l’audace de Peschiera un certain attrait romanesque, qu’elle réussit à priver Riccabocca de tout sommeil cette nuit-là. Le lendemain il envoya Giacomo chez lady Lansmere avec une lettre très-affectueuse pour Violante et un billet pour la comtesse, priant celle-ci de vouloir bien amener sa fille à Norwood pour quelques heures, parce qu’il désirait leur parler à toutes deux. Ce fut l’arrivée de Giacomo à Knightsbridge qui fit découvrir l’absence de Violante. Lady Lansmere, toujours préoccupée de l’opinion du monde et de la crainte des bavardages, empêcha Giacomo de montrer sa douleur et son inquiétude aux autres domestiques ; elle prit soin de dire