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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/239

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noirceur de sa trahison. Si le cœur de Violante eût été complétement libre, ou si elle avait été de ces jeunes filles timides et enfantines que les femmes comme Béatrix ont coutume de mépriser, telle était l’affection de la marquise pour Peschiera, la crainte qu’il lui inspirait, qu’elle eût peut-être essayé de persuader à sa jeune parente de recevoir au moins la visite du comte, de lui permettre de s’excuser lui-même et de plaider sa propre cause. Mais Violante avait montré une âme si fière et si élevée dans la manière dont elle avait d’abord repoussé les questions de la marquise, puis ensuite une si généreuse douceur lorsqu’elle avait compris combien ce cœur ardent était torturé, et une telle pureté, une candeur si triste lorsque, surmontant sa timidité virginale, elle avait, pour détromper Béatrix de son erreur, confessé où étaient placées ses propres affections, que la marquise s’agenouillait devant elle comme fait un marin devant la Vierge sainte qui a apaisé l’orage.

« Je vous ai trompée ! lui disait-elle à travers ses sanglots, mais je vous sauverai quoi qu’il m’en puisse coûter. Oh ! non ! vous si bonne et si noble, vous ne sauriez devenir la fiancée de Peschiera. Ne tremblez pas, ne craignez rien ; ou il renoncera à ses desseins sur vous, ou bien j’irai moi-même révéler à notre empereur les coupables secrets de sa vie. Retournons promptement ensemble à l’asile hors duquel je vous ai attirée. »

Béatrix avait la main sur la serrure en parlant ainsi. Soudain elle changea de visage, ses lèvres pâlirent ; la porte était fermée en dehors. Elle appela ; personne ne répondit ; elle tira la sonnette de la chambre et n’entendit aucun son ; les fenêtres étaient hautes et garnies de barreaux. Elles ne donnaient pas sur la rivière ni sur la rue, mais sur une cour étroite et sombre, entourée de murs élevés ; personne qui pût entendre un cri de détresse, si perçant, si déchirant qu’il fût.

Béatrix comprit qu’elle avait été prise au piège en même temps que sa compagne ; que Peschiera, se défiant de sa persistance dans le mal, lui avait ôté tout pouvoir de réparation. Elle était dans une maison que gardaient ses émissaires. Aucun espoir d’arracher Violante à un sort odieux ne semblait lui rester. C’est alors qu’au milieu de reproches incohérents adressés à elle-même et de larmes frénétiques, Béatrix s’était agenouillée devant sa victime, lui communiquant de plus en plus les terreurs qu’elle-même ressentait à mesure que s’écoulaient les heures, que la chambre allait s’assombrissant, jusqu’à ce que ne fut plus qu’à la lueur de la lampe qui éclairait la cour que chacune distingua le visage de l’autre.

La nuit vint ; elles entendirent l’horloge d’une église éloignée sonner les heures. Le feu s’était depuis longtemps éteint et le froid était intense. On n’entendait pas une voix, pas un mouvement dans la maison. Mais les prisonnières ne sentaient ni le froid ni la faim ; elles ne sentaient que la solitude, le silence et la terreur de ce qui allait suivre.

Enfin, vers minuit, on sonna à la porte de la rue ; il y eut un