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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/24

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CHAPITRE VII.

Ô Hélène ! douce Hélène, type charmant de cette excellence féminine, tranquille, sereine, inaperçue, profondément sentie ! La ménagère, la consolatrice, l’ange dont les ailes repliées autour du cœur y cachent une source féconde et divine que jamais ne troublent les eaux corrompues du monde. Hélène, est-ce bien en toi que le fantasque et brillant « fils du caprice et du loisir » doit trouver la régénération de sa vie, le second baptême de son âme ? À quoi bon tes humbles vertus pour celui que sa fortune doit préserver de toute rude épreuve et dont les chagrins sont en dehors de ton horizon ?

Et toi-même qui as besoin d’être doucement attirée au dehors, de te développer dans l’atmosphère calme et féconde d’un heureux et saint amour, l’affection que t’offre Harley L’Estrange te suffira-t-elle ? Les feuilles encore repliées dans le calice ne se flétriront-elles pas sous l’ombre qui les protégera peut-être contre l’orage, mais qui, en même temps les privera du soleil ? Que peux-tu pour la joie ou la douleur d’un cœur que ne fait point palpiter ton nom ? Possèdes-tu donc le charme et la force de l’astre des nuits pour soulever ou abaisser à ta volonté les flots de cette mer orageuse ? Qui dira cependant jusqu’où peuvent s’approcher deux cœurs auxquels le mal est étranger et dont le temps resserre chaque jour les liens ?

Heureux encore les époux quand chacun d’eux apporte à l’autel, sinon la flamme, du moins l’encens. Alors que toutes les pensées de l’homme sont nobles et généreuses, tous les sentiments de la femme, doux et purs, l’amour peut suivre s’il ne précède l’hymen, et sinon, si les fleurs manquent à la couronne, on peut regretter la rose, on est du moins à l’abri de l’épine.

La matinée était belle, quelque peu obscurcie cependant par le brouillard qui à Londres annonce l’approche de l’hiver, et Hélène se promenait pensive sous les grands arbres qui entouraient le jardin de l’hôtel Lansmere. Les arbres avaient encore des feuilles, mais fanées et desséchées ; parfois les oiseaux chantaient encore, mais leurs notes étaient plaintives et mélancoliques : jusqu’à l’arrivée d’Harley, tout dans cette demeure avait paru étrange et triste à la pauvre Hélène. Lady Lansmere l’avait reçue avec bonté, mais avec une certaine contrainte, et les manières imposantes habituelles à la comtesse, envers tous excepté Harley, avaient glacé la timide orpheline. Un vague sentiment de sa position équivoque, de l’infériorité de sa naissance et de sa fortune, oppressait encore Hélène. Elle se promenait rêveuse dans les grandes allées tournantes, et cette sorte de campagne artifi-