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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/25

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cielle semblait à celle dont l’âme aspirait à la simple nature comme une image des liens qui emprisonnent le rang.

Les réflexions d’Hélène furent interrompues par les joyeux aboiements de Néron qui bondit vers elle et lui posa dans la main sa grosse tête velue ; tandis qu’elle se baissait pour caresser le chien, heureuse de le revoir, et que des larmes longtemps contenues coulaient de ses yeux (car je ne sache rien qui provoque plus naturellement les larmes que le cordial accueil d’un chien lorsque quelque chose chez les humains nous a affligés ou froissés), elle entendit derrière elle la voix harmonieuse d’Harley. Hélène essuya rapidement ses larmes pendant que son tuteur s’approchait ; lorsqu’il fut près d’elle, il lui prit la main et attira doucement son bras sous le sien.

« J’ai si peu joui de votre conversation hier soir, ma chère Hélène, que j’ai le droit d’en réclamer ce matin le monopole, même aux dépens de Néron. Et vous voici donc de retour dans votre pays. » Hélène soupira doucement.

« Ne puis-je pas espérer que vous vous y retrouvez sous de meilleurs auspices qu’aux jours de votre enfance ? »

Hélène tourna vers son tuteur des yeux pleins d’une reconnaissance ingénue et du souvenir de tout ce qu’elle lui devait.

« Hélène, reprit Harley avec une sérieuse et mélancolique douceur, vos yeux me remercient ; mais écoutez-moi, je ne mérite aucun remercîment. Je vais vous faire une étrange confession d’égoïsme.

— Vous ! ah ! c’est impossible.

— Jugez-en vous-même, puis vous déciderez lequel de nous deux doit être reconnaissant. Hélène, lorsque j’avais à peine votre âge, que je n’étais qu’un écolier par les années, mais que par le cœur, par l’énergie et par les aspirations élevées, j’étais plus homme, je crois que je ne l’ai jamais été depuis, j’aimai, j’aimai avec passion. »

Il s’arrêta un instant, luttant visiblement contre lui-même. Hélène l’écoutait muette de surprise, mais l’émotion d’Harley éveilla la sienne, il tardait à son cœur tendre et compatissant de le consoler ; son bras s’appuya moins légèrement sur celui de son tuteur.

« J’aimai profondément et pour mon malheur, reprit Harley. C’est une longue histoire que je vous dirai peut-être plus tard. Le monde appelait cet amour une folie. Je n’ai pas discuté son arrêt alors, je ne pourrais le discuter maintenant. Il suffit ; la mort frappa subitement, cruellement et pour moi mystérieusement celle que j’aimais. Mon amour lui survécut ! Heureusement une distraction s’offrit non pas contre la douleur, mais contre le découragement et l’inertie. J’étais soldat, je rejoignis l’armée. Les hommes m’appelèrent brave. Erreur ! je n’étais qu’un poltron devant la vie. Je cherchais la mort ; comme le sommeil elle est souvent sourde à notre appel. La paix se fit. De même que lorsqu’a cessé le vent les voiles retombent, ainsi lorsque cessa pour moi l’animation de la guerre tout me parut plat, inutile, indifférent. Mon cœur était pesant, bien pesant. Peut-être ma douleur eût-elle été moins obstinée si je n’eusse craint d’avoir des