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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/245

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« Merci mes amis, merci, leur dit-il. Peut-être un jour reverrons-nous ensemble notre patrie bien aimée ! »

Le prince autrichien s’inclina comme pour donner à cette prière son assentiment.

« Giulio Franzini, dit le duc de Serrano (car c’est ainsi que nous devons maintenant nommer l’hôte du Casino), si la Providence avait pu permettre que s’accomplît votre infâme dessein, croyez-vous donc qu’il y eût sur la terre un endroit où le ravisseur eût pu échapper au bras d’un père ? Mais le ciel s’est montré miséricordieux ; je veux imiter sa clémence. » Et le duc s’approcha avec bonté de son coupable parent.

À partir du moment où le prince autrichien lui avait parlé, le comte avait gardé un profond silence, ne témoignant ni honte, ni repentir. Il se tenait droit et ferme regardant autour de lui comme un loup pris au piège. Lorsque le duc s’approcha, il le repoussa du geste en disant : « Arrière ! pédant, arrière ! ne triomphez pas encore ! Et vous, prince, allez faire vos contes à l’empereur. Vous me trouverez à côté de son trône, prêt à vous répondre, si toutefois vous sortez vivant de la rencontre à laquelle je saurai vous contraindre. » En disant ces derniers mots, Peschiera s’élança vers un des côtés du vaisseau. Mais Harley avait prévu son intention, et d’un coup d’œil il avait fait signe aux matelots de s’y opposer. Saisi par ses compatriotes indignés au moment où il allait plonger dans la rivière, Peschiera fut ramené et gardé à vue. L’expression de sa physionomie changea alors complètement ; on y vit éclater la violence désespérée du gladiateur. Sa force lui permit de se débarrasser plusieurs fois de ceux qui le tenaient, de jeter plus d’un homme sur le pont, mais à la fin, accablé par le nombre, bien que luttant encore, toute dignité, toute présence d’esprit s’évanouirent chez lui ; prononçant les plus grossiers blasphèmes, grinçant des dents et écumant de rage, il ne resta plus de ce brillant Lothario que la grossière furie de l’homme animal.

Conservant cet air d’imperturbable ironie que le plus habile comédien eût pu lui envier, Harley salua profondément le comte en fureur.

« Adieu, monsieur le comte, dit-il. Le vaisseau sur lequel vous m’avez fait l’honneur de monter est frété pour la Norwége. Les Italiens qui vous accompagnent ont été envoyés par vous en exil, et ils promettent en retour de vous distraire par leur société lorsque vous vous sentirez quelque peu fatigué de la vôtre. Conduisez le comte à sa cabine. Doucement là-bas, doucement. Encore une fois adieu, monsieur le comte, et bon voyage ! »

Et Harley tourna sur ses talons, tandis que Peschiera, en dépit de tous ses efforts était emporté dans la cabine.

« À trompeur, trompeur et demi, dit Harley au prince autrichien. On se venge par une farce de celui qui avait voulu accomplir une tragédie.

— C’est plus que cela, il est ruiné.