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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/244

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il n’a pas encore été parlé, et pour arranger les choses de façon à ce que la réparation, soit qu’elle incombe à vous ou à moi, puisse être aussi satisfaisante que vous avez daigné rendre l’explication.

— Que ceci ne vous inquiète pas, monsieur le comte, la réparation est déjà fort avancée, tant j’étais pénétré du désir d’aller au-devant de tout ce que pouvait exiger l’honneur d’un parfait gentilhomme tel que vous. Vous avez enlevé une héritière mineure, il est vrai, mais c’était sans doute pour la remettre dans les bras de son père. Vous avez dépouillé un parent illustre de tous ses biens, mais vous êtes venu volontairement à bord de ce bâtiment, d’abord pour que Son Altesse le prince Von…, dont vous connaissez la haute position à la cour, puisse raconter à l’empereur lui-même la manière dont vous interprétez le consentement donné par Sa Majesté Impériale à votre mariage, et ensuite afin de commencer par une excursion sur la Baltique à exécuter la sentence de bannissement qui, je n’en doute pas, accompagnera l’acte de restauration du chef de votre maison. »

Le comte tressaillit.

« Je garantis d’avance cette restauration, dit le prince autrichien, qui s’était approché d’Harley ; vous êtes la honte de la noblesse de l’empire, Giulio Franzini, et je ne quitterai pas mon royal maître que sa main n’ait rayé votre nom de la liste. J’ai là vos propres lettres qui prouvent que vous-même avez entraîné votre parent dans la révolte, dont vous eussiez été le Catilina, si vous n’aviez préféré en être le Judas. Dans dix jours ces lettres seront déposées devant l’empereur et son conseil.

— Êtes-vous satisfait, monsieur le comte, dit Harley, de votre part de réparation ? Sinon, je vous ai ménagé l’occasion de la rendre plus complète encore. Le parent auquel vous avez fait tort est devant vous. Il sait maintenant que, bien que vous ayez réussi à détruire pour un temps sa fortune, vous n’avez pu parvenir à souiller son foyer ; son noble cœur peut vous pardonner, et plus tard sa main pourra vous faire des largesses. À genoux, donc, Giulio Franzini, à genoux devant Alphonse duc de Serrano. »

Le dialogue précédent avait eu lieu en français, et très-peu d’entre les Italiens présents l’avaient compris, mais au nom qui termina les paroles qu’Harley adressait au comte, un cri simultané sortit de la boucbe des Italiens.

« Alphonse le Bon ! Alphonse le Bon ! Viva, viva le bon duc de Serrano ! »

Et oubliant le comte lui-même, ils s’empressèrent autour de Riccabocca, luttant à qui baiserait sa main ou même le bas de son manteau.

Les yeux de Riccabocca se mouillèrent de larmes. L’exilé semblait transfiguré. Son visage respirait une inexprimable dignité. Il étendit les bras comme pour bénir ses compatriotes. Ce seul cri échappé à d’obscurs ouvriers, exilés comme lui, le consola de ses longues années de bannissement et de pénurie.