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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/250

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présence d’esprit et que j’examinais rapidement avec le prince autrichien s’il était possible de prendre quelque autre mesure, ou si nous n’avions d’autre ressource que de nous rendre à bord du vaisseau, et de courir les chances de ce qui pourrait suivre, Léonard entra tranquillement dans ma chambre. Le calme et la fermeté de son regard m’indiquèrent seuls qu’il avait à me donner de bonnes nouvelles.

— Ah ! dit Riccabocca, car nous continuerons d’appeler ainsi le sage, pour nous conformer à son propre désir ; ah ! j’ai de bonne heure appris à ce jeune homme la grande vérité promulguée par Helvétius : « Toutes nos erreurs naissent de notre ignorance ou de nos passions. Sans elles nous serions des intelligences sereines et pénétrantes. »

— Léonard, reprit Harley, nous avait quittés quelques heures auparavant. Je l’avais chargé de passer chez Mme di Negra, et comme il y était connu des domestiques, de tâcher d’obtenir d’eux le plus de renseignements possible, et sur toute chose de se procurer (ce que dans ma grande hâte j’avais oublié) le nom et le signalement de l’homme qui avait mené la marquise le matin, puis de faire le meilleur usage en son pouvoir de tout ce qui serait de nature à éclairer nos recherches. Léonard ne réussit qu’à obtenir le signalement du cocher, qu’il reconnut pour un nommé Beppo, auquel Mme di Negra avait souvent donné des ordres en sa présence. Personne ne put lui dire où était la marquise ; on l’avait crue à l’hôtel du comte. Léonard s’y rendit ; Beppo en avait été absent tout le jour. Tandis qu’il réfléchissait à ce qu’il allait faire, il aperçut votre futur gendre, qui longeait l’autre côté de la rue. Par une de ces lumineuses inspirations, qui ne vous viendraient jamais à vous autres philosophes, Léonard avait tout d’abord été convaincu que Randal Leslie n’était pas étranger à cette affaire.

— Lui ! cria Riccabocca. C’est impossible ! Dans quel but ? Quel intérêt y aurait-il ?

— Je ne saurais le dire, ni Léonard non plus, mais nous avions tous deux formé la même conjecture. Bref, Léonard résolut de suivre Randal Leslie et d’espionner toutes ses démarches. Il le suivit donc à distance et sans être vu, d’abord chez Audley Egerton, puis dans Eaton-Square, de là dans une maison de Bruton-Square, qu’il apprit être celle du baron Lévy. Cela n’est-il pas un peu suspect, mon cher sage ?

— Diavolo ! oui ! dit Riccabocca pensif.

— Randal resta chez Lévy jusqu’à la nuit tombante ; il en sortit alors de son pas furtif et se dirigea rapidement vers Leicester-Square ; Léonard le vit entrer dans un de ces petits hôtels généralement fréquentés par les étrangers. Quelques individus de mauvaise mine, au teint basané, flânaient dans la rue et devant la porte. Léonard devina que le comte ou ses affidés étaient là.

— Si ceci m’est prouvé, s’écria Riccabocca, s’il est vrai que Randal ait été en relations intimes avec Peschiera, qu’il ait trempé dans