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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/254

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— Aurait-il donc l’audace d’y retourner ?

— Vous ne lui rendez pas justice ! Il a plus d’audace qu’il n’en faut pour cela. Mais ce n’est pas son retour à Vienne que je redoutais, c’était qu’il ne rencontrât le prince sur la route et ne le contraignît à un duel, avant que son caractère ne soit assez décrié pour que le prince puisse s’y refuser ; et le comte, bien entendu, est un tireur de première force. Il en est toujours ainsi de ces gens-là.

— Il reviendra et vous…

— Moi ! Oh ! n’ayez pas peur, il a assez de moi comme cela. Et maintenant, mon ami, maintenant que Violante est en sûreté sous votre toit, maintenant que ma mère doit être depuis longtemps rassurée par Léonard, qui nous a quittés pour aller lui dire que notre œuvre s’était accomplie sans dangers, et ce qu’elle apprendra avec presque autant de satisfaction, sans bruit ni scandale… maintenant que notre ennemi est aussi impuissant qu’un roseau flottant sur les eaux, et que le prince Von… est probablement au moment de monter en voiture pour Douvres, chargé de la mission de rendre à l’Italie le plus digne de ses fils, permettez que je vous envoie vous reposer, et que, m’enveloppant de mon manteau, je dorme quelques heures sur ce sofa, jusqu’à ce que l’aube qui commence à poindre soit devenue le jour. Mes paupières s’alourdissent, et si vous restez trois minutes de plus, je ne réponds plus de vous entendre, car je serai parti pour le pays des rêves. Buona notte !

— Mais on vous a préparé un lit. »

Harley secoua la tête en signe de refus et s’étendit sur le sofa.

Riccabocca se pencha sur son ami pour arranger son manteau, le baisa au front et s’en alla rejoindre Jemima, qui avait veillé pour l’attendre, désireuse de recevoir de lui les explications que sa bonté et son affection ne lui avaient pas permis de demander à Violante, épuisée par la fatigue et l’agitation.

« Pas encore au lit, s’écria le sage en voyant sa femme. N’avez-vous donc aucune compassion de mon fils ? Et cela juste au moment où il y a probabilité que nous ayons le moyen d’en élever un. »

Et Riccabocca se mit à rire gaiement, tandis que sa femme s’appuyait sur son épaule en pleurant de joie.

Mais le sommeil ne vint pas clore les paupières d’Harley L’Estrange. Lorsque son hôte l’eut quitté, il se leva et arpenta le salon à pas rapides. Toute légèreté avait disparu de son visage, qui, à la lueur du jour naissant, paraissait d’une mortelle pâleur. Sur ce visage se lisaient les luttes et les angoisses de la passion.

« Mes bras l’ont enserrée, se disait-il ; j’ai respiré le parfum de son haleine. Je suis sous le même toit qu’elle, et elle est sauvée, sauvée à jamais du danger et de la pénurie, et séparée de moi pour toujours. Courage ! courage ! Ô honneur, devoir, et toi sombre souvenir du passé, toi qui as enchaîné mon amour à une tombe, soutenez-moi, défendez-moi ! Que je suis faible ! »

Le soleil commençait à peine à luire lorsqu’Harley quitta la maison. Personne ne remuait, excepté Giacomo, qui, debout au seuil de