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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/266

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ma mère. Elle m’est arrivée ce matin. Je me pendrais volontiers si j’étais un chien, mais je suis un homme et il faut que je supporte mes peines. »

Randal prit de la main tremblante de Frank la lettre de mistress Hazeldean.

La pauvre mère avait appris, bien qu’imparfaitement, la conduite de Frank par quelques lignes que le squire lui avait adressées à la hâte, et elle écrivait comme une mère bonne et compatissante, mais droite et sensée, peut seule écrire. Plus indulgente pour un amour imprudent que le squire, elle parlait avec une tendresse discrète du téméraire engagement de Frank vis-à-vis d’une étrangère, quoique avec sévérité de sa résistance ouverte aux désirs de son père. Mais elle avait réservé toute sa colère pour ce post-obit impie. Ici l’amour de l’épouse dominait l’affection de la mère. Avoir calculé de sang-froid l’époque de la mort de son mari, et avoir blessé si profondément le cœur de celui-ci justement à l’endroit où son amour paternel le rendait le plus sensible.

« Ô Frank ! Frank ! écrivait mistress Hazeldean, s’il ne s’agissait que de votre malheureux attachement pour cette Italienne, que de vos dettes, que de folies de jeunesse, je serais maintenant auprès de vous, les bras passés autour de votre cou, vous embrassant, vous aidant à rentrer dans le cœur de votre père. — Mais… mais la pensée qu’entre vous et ce cœur s’est placé un sordide calcul sur sa mort ; — cette pensée élève une barrière entre nous. Je ne puis vous aller trouver. Il me serait pénible en regardant votre visage de me rappeler les larmes dont votre père l’a mouillé quand je vous ai mis dans ses bras lors de votre naissance, en lui disant de bénir son héritier. Quoi ! Vous êtes encore un enfant, votre père est dans la force de l’âge et l’héritier ne peut attendre que la nature l’ait fait orphelin ! Frank ! Frank ! je ne reconnais pas là mon fils ! Londres a-t-il déjà corrompu un cœur si honnête et si aimant. — Non, je ne puis le croire. Il faut qu’il y ait là-dessous quelque erreur. Éclaircissez-la, je vous en conjure, ou bien que, comme mère, je vous plaigne, comme épouse je ne saurais vous pardonner.

« Harriet Hazeldean. »

Randal lui-même fut touché en lisant cette lettre ; car, comme nous l’avons vu, il n’était pas insensible aux liens de famille. La colère et la fierté du pauvre squire avaient caché le cœur du père à un œil qui, tout pénétrant qu’il fût, n’avait pas voulu le chercher, et Randal, jugeant de tout avec son intelligence, avait méprisé la faiblesse même dont il abusait. Mais la lettre de la mère, si juste et si sensée (en faisant la part de l’influence que les opinions du squire, au sujet de ce genre d’emprunt, avaient naturellement exercée sur l’esprit de sa femme), cette lettre, dis-je, qui si elle était exagérée, selon les notions fashionables, était du moins si sensée au point de vue des affections naturelles, toucha le cœur engourdi de l’ambi-