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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/267

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tieux parce qu’elle était approuvée par le tact délicat de son intelligence.

« Frank, dit-il avec une sincérité qui plus tard l’étonna lui-même, partez sur le champ pour Hazeldean, voyez votre mère et expliquez-lui comment la chose est arrivée. La femme que vous aimiez, que vous alliez épouser en danger d’être arrêtée…, le trouble où vous étiez, les conseils de Lévy, l’espoir que vous aviez de rembourser l’usurier avec la fortune que devait vous apporter Mme di Negra. Parlez à votre mère, elle est femme, et les femmes sont toujours indulgentes pour les fautes que fait commettre l’amour. Allez ! partez !

— Non, je ne puis m’y résoudre. Ne dit-elle pas qu’il lui serait pénible de revoir mon visage. Et puis je ne saurais pas répéter ce que vous dites si bien. En outre, de façon ou d’autre, je dépends tellement de mon père, et il me l’a rappelé, que je ne pourrais, ce me semble, lui faire des excuses sans bassesse. J’ai fait la sottise, j’en supporterai les conséquences. Mais je suis homme… Non, je ne suis pas homme en cela. » Et Frank fondit en larmes.

À la vue de ces larmes, Randal se remit peu à peu de l’étrange aberration qui l’avait fait céder à des sentiments de vulgaire compassion. Son mépris habituel pour Frank lui revint, et avec le mépris l’indifférence pour les souffrances de l’instrument dont il voulait faire usage.

« Eh bien, mon cher Frank, je vous ai donné mon avis, vous le repoussez ; que comptez-vous faire ?

— Je vais demander un congé et m’enfuir quelque part, dit Frank en essuyant ses larmes. Je ne puis supporter Londres, ni endurer l’idée de rencontrer mes camarades. J’ai besoin d’être seul pour apaiser ce que sens , dans mon cœur. J’écrirai alors à ma mère, je lui dirai la vérité en la suppliant de me juger avec indulgence.

— Oui, vous avez raison, il faut quitter Londres. Pourquoi n’iriez-vous pas sur le continent ? De nouvelles images vous distrairaient. Allez-vous-en à Paris.

— Non, pas à Paris ; il ne me faut rien de gai. Mais j’ai l’intention d’aller sur le continent, me cacher dans quelque trou bien triste et bien isolé. Au revoir. Ne pensez plus à moi pour le moment.

— Dites-moi seulement où vous allez ? Pendant ce temps je verrai le squire.

— Ne lui parlez de moi que le moins possible. Je sais que vous avez les meilleures intentions… Mais…, oh ! comme je voudrais qu’un tiers ne fût jamais intervenu entre mon père et moi ! Oui, vous avez raison de me retirer votre main. Je ne suis qu’un misérable ingrat ! Je crois que je deviens tout à fait méchant. Quoi ! vous me serrez encore la main, mon cher Randal, il faut que vous ayez un bien excellent cœur ! Que Dieu vous bénisse ! » Et Frank rentra dans sa chambre.

« Ils se réconcilieront tôt ou tard, c’est certain, se dit Randal en quittant Frank, je ne vois pas comment je pourrais les en empêcher,