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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/274

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mire et que je révère. Oui oui, vous avez raison, nous ne devons plus nous revoir. Donnez-moi du courage. »

Toute la noblesse inhérente à la nature du jeune poète se réveilla à cet appel.

« Ô Hélène, ma sœur, miss Digby, pardonnez-moi, Vous n’avez pas besoin de chercher de la force près de moi. C’est moi qui emprunte la vôtre. Je vous comprends, je vous approuve et vous honore. Bannissez loin de vous ma pensée. Montrez-vous reconnaissante envers notre bienfaiteur. Soyez ce qu’il demande de vous, sa consolatrice, soyez plus encore son orgueil et sa joie. Le bonheur sera votre partage, comme il arrive toujours à ceux qui s’oublient pour rendre heureux les autres. Que Dieu vous console et vous aide dans cette lutte passagère ! Puisse-t-il vous bénir pendant de longues années ! Ma sœur, j’accepte maintenant ce saint nom, et je le réclamerai plus tard, quand moi aussi je pourrai penser aux autres plus qu’à moi-même. »

Hélène avait caché son visage dans ses mains ; elle pleurait, mais avec cette douce contrainte féminine qui refoule la douleur dans le cœur. Un étrange sentiment de solitude envahit soudain tout son être, et à ce sentiment elle comprit qu’il était parti.


CHAPITRE XIII.

Dans une autre chambre de cette même maison était assis, solitaire comme Hélène, un homme à l’aspect sombre, sévère, taciturne, dans lequel ceux-mêmes qui l’avaient connu dès l’enfance auraient eu peine à reconnaître l’aimable et confiant, mais fantasque et capricieux Harley L’Estrange.

Il avait lu ce manuscrit dans lequel, du gouffre de son stérile et triste passé, s’élevaient deux vérités odieuses qui semblaient le regarder en face avec des yeux moqueurs et sataniques. La femme dont le souvenir avait obscurci le soleil de son existence, en avait aimé un autre ; l’ami dans l’âme duquel il avait versé son âme confiante et loyale avait été son rival caché. Il avait lu depuis le premier mot jusqu’au dernier, comme sous l’empire d’un cauchemar qui le tenait haletant, et lorsqu’il ferma le manuscrit, ce fut sans pousser ni un gémissement, ni un soupir ; mais sur ses lèvres pâles se dessinait ce sourire sardonique qui indique aussi sûrement un cœur gonflé de passions terribles, que le rapide passage de l’éclair révèle la tempête amoncelée dans les nuages.

Il serra ensuite les papiers dans son sein, et appuyant dessus sa main fermée il quitta sa chambre et se dirigea lentement vers la maison de son père. À mesure qu’il avançait, sa nature semblait,