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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/275

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dans le combat que se livraient ses divers éléments, se métamorphoser, s’endurcir et devenir de granit. L’amour, l’humanité, la confiance s’y évanouissaient, tandis que la haine, la vengeance, la misanthropie, la défiance, venaient prendre place dans le désert de son âme, farouches et menaçantes comme les harpies des poèmes antiques.

« Uncæque manus, et pallida semper ora[1]. »


Dans cette sombre humeur, Harley avait franchi le seuil de la maison de son père et gagné l’appartement qui lui était toujours réservé.

Il était arrivé une heure environ avant Léonard, et tandis qu’il se tenait debout près de la cheminée, les bras croisés sur sa poitrine et les yeux fixés sur le plancher, sa mère entra pour l’embrasser et le féliciter. Il imposa silence à ses questions empressées au sujet de Violante, il recula au contact de sa main.

« Arrêtez, madame, dit-il avec un ton dont la froide sévérité terrifia la comtesse. Je ne saurais répondre à vos questions. Je songe à celles que j’ai à vous faire. Vous avez combattu mon amour pour Léonora Avenel. Je ne vous en blâme pas ; toutes les mères d’un rang égal au vôtre eussent fait de même. Et cependant, si vous ne vous fussiez opposée à toute franche explication, entre nous, j’aurais éprouvé un refus ; j’aurais sans doute triomphé de ce chagrin et recouvré le bonheur ensuite. Depuis ce temps, bien des années se sont écoulées, ont passé sur son tranquille sommeil et sur ma vie désolée, aviez-vous su pendant tout ce temps qu’Audley Egerton avait été l’amant de Léonora ?

— Harley, Harley, ne me parle pas ainsi, ne me regarde pas avec tes yeux impitoyables.

— Vous le saviez donc, vous, ma mère ! continua Harley, insensible à la prière de lady Lansmere ; et pourquoi ne m’avez-vous jamais dit : « Mon fils, tu perds la fleur de ta jeunesse, tu uses les forces de ta vie dans une triste fidélité à un mensonge ! Tu prodigues ton amitié et ta confiance à un perfide hypocrite ? »

— Comment aurais-je pu te parler ainsi, comment l’aurais-je osé, voyant que tu chérissais à tel point le souvenir de cette malheureuse fille, que tu croyais toujours qu’elle t’avait rendu son affection ? Si je t’avais parlé de ses relations avec Egerton, relations que je n’ai connues qu’après sa mort…

— Eh bien ? Pourquoi hésiter ? Si vous m’en aviez parlé ?

— N’aurais-tu pas cherché à te venger ? Ne devais-je pas craindre une rencontre ; du sang répandu ? Harley, Harley ; le silence n’est-il pas excusable de la part d’une mère ? Et pourquoi aussi te priver du seul ami qui te fût cher, qui eût sur toi quelque influence, qui sympathisât avec moi dans la prière et dans l’espoir qu’un jour tu rencontrerais une compagne digne de remplacer cette illusion per-

  1. Les mains armées de griffes et les lèvres à jamais pâles.