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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/280

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choc qu’il venait d’éprouver ébranlait les fondements mêmes de son esprit et, renversant toutes les constructions légères que l’esprit et l’imagination avaient bâti à la surface, le laissaient nu comme une terre nouvelle, livré à l’influence des passions violentes et haineuses.

Lorsqu’un homme d’un cœur aussi aimant, d’une nature douée de puissances aussi irrégulières qu’Harley, découvre brusquement la trahison, là où il avait mis sa confiance, il n’en est pas de lui comme des élèves plus calmes de cette rude maîtresse l’expérience, il ne se contente pas de retirer au coupable son estime et son affection, c’est la confiance même, la confiance en toutes choses qui est détruite en lui ; il regarde dans le passé et condamne ses plus douces vertus comme des folies qui l’ont conduit à sa perte ; il envisage l’avenir comme une route encombrée de traîtres souriants envers lesquels il doit user d’une égale dissimulation, s’il ne peut les écraser par une force supérieure. Une trahison commise envers un de ces hommes est un crime ; elle prive le monde de tous les bienfaits qu’il eût semés sur son passage. Elle est responsable de tout le mal qu’engendre la corruption de ces natures dont la richesse même, lorsque l’atmosphère en est une fois viciée, ne sert plus qu’à répandre la maladie. C’est ainsi que la malaria ne se fixe pas sur un sol maigre et stérile, ni sur des déserts de tous temps désolés, mais sur les endroits où le soleil du midi mûrissait naguère les fruits de jardins magnifiques, sur l’emplacement de cités dans lesquelles s’est évanouie la pompe des palais. Ce n’était pas assez que l’ami de sa jeunesse, le confident de son amour l’eût trahi, eût été son rival secret et heureux, pas assez que la femme qu’avait idolâtrée son adolescence, que cette femme qu’il cherchait, le cœur agité de douloureux remords, croyant qu’elle ne fuyait son amour que par émulation de générosité et pour lui épargner le sacrifice de tout ce que la jeunesse dédaigne, mais que le monde estime si haut ; ce n’était pas assez que pendant tout ce temps cette femme eût été réfugiée sur le sein d’un autre. Sa vie à lui s’était passée à regretter un songe ; la noble et légitime ambition d’un esprit du premier ordre avait été arrêtée dès son début, son cœur avait été corrodé par un regret sans cause, sa conscience bourrelée de la crainte que sa poursuite acharnée n’eût conduit à une tombe prématurée une victime trop tendre. Ces années qui eussent pu être pour lui si sereines, pour les autres si utiles, s’étaient consumées dans les rêves d’une vaine et stérile mélancolie. Et à qui avait-il fait entendre ses plaintes amères ? À l’homme qui savait que son remords n’était qu’un vain fantôme, et sa douleur qu’une moquerie. Toutes les pensées propres à irriter l’orgueil naturel à l’homme, tous les souvenirs capables d’exciter à la vengeance un cœur qui avait aimé trop profondément pour ne pas être accessible à la haine, conspiraient à aiguillonner en lui ces furies qui viennent habiter tous les temples qu’a une fois profanés la présence des passions mauvaises. Dans ce sombre silence de l’âme, la vengeance prenait les apparences de la justice. Bien que les sentiments d’Harley envers Léonora Avenel ne fussent plus les mêmes, le récit de sa douleur et de ce qu’elle avait souffert l’aigrissait encore