Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je le comprends comme vous, Charles Fox pouvait être joueur et William Pitt indigent ; mais Audley Egerton n’appartient pas à cette race de géants. Il ne paraît si élevé que parce qu’il est debout sur une fortune imposante, mais Audley Egerton pauvre et besogneux, hors du Parlement et, comme on dit vulgairement, les coudes percés, se dérobant à ses créanciers, peut-être au King’s Bench !…

— Non, non, notre parti ne le souffrirait jamais ; nous ferions une souscription,…

— Encore pis. Être pensionné par le parti qu’il aspirait à conduire ! Vous dites vrai ; sa carrière politique serait détruite. Un homme dont la réputation est basée sur son honorabilité extérieure ! Comment donc ! mais on dirait peut-être qu’Audley Egerton n’a été qu’un austère intrigant. Eh ! mon père ?

— Comment pouvez-vous parler avec ce sang-froid du malheur de votre ami ? Vous n’avez pas besoin de cela pour m’intéresser au succès de son élection, si telle est votre intention. Une fois au Parlement, il rentrera bientôt au pouvoir, et il vivra de ses appointements. Il faut que vous le décidiez à me confier l’inventaire de son passif ; je m’entends en affaires, comme vous savez, j’arrangerai les siennes, et je gagerais cinq contre un, bien que je déteste les paris, qu’il sera premier ministre avant trois ans d’ici ; ce n’est pas un homme brillant, c’est vrai ; mais en ces temps critiques, ce qu’il nous faut c’est un homme sûr, modéré, judicieux, conciliant, et Audley a tant de tact, une si grande expérience de la Chambre, une si parfaite connaissance du monde, et puis, ajouta le comte comme pour résumer d’un mot toutes ces louanges, c’est un si parfait gentleman !

— Un parfait gentleman, comme vous dites, l’honneur personnifié ! Mais, mon bon père, voici votre heure de monter à cheval ; que je ne vous retienne pas. Ainsi, c’est entendu, vous ne viendrez pas à Lansmere. Vous mettez le château à ma disposition et vous me permettez d’y inviter Egerton, bien entendu, et tous les hôtes qu’il me plaira ; en un mot, vous me donnez carte blanche ?

— Certainement, car si vous ne parvenez pas à faire nommer votre ami, c’est que personne ne le pourrait. Ce bourg est ingrat ; il a fait le tourment de mon existence. Moi qui y ai dépensé tant d’argent, qui ai tant fait pour son commerce ! Et le comte quitta la chambre avec un soupir indigné. »

Harley s’assit devant son bureau la tête appuyée sur sa main, regardant vaguement devant lui d’un air soucieux et mécontent. Harley L’Estrange était, comme nous l’avons vu, un homme d’affections et d’impressions singulièrement tenaces. C’était une nature éminemment brave, loyale et candide. Cette légèreté même et ces caprices qui trompaient le monde sur son caractère comme sur ses talents, pouvait être attribuée en partie à cette franchise qui, dans son mépris pour tout ce qui ressemblait à de l’hypocrisie, se riait des formes et du cérémonial, et faisait des solennelles plausibilités du monde un sujet de raillerie tantôt burlesque, tantôt profonde. Le