Aller au contenu

Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Harley passa sa main sur son visage. « Ah ! se dit-il, Nora a donc assez vécu pour avoir un fils, un fils d’Egerton ! Léonard est ce fils. J’aurais dû le deviner à la ressemblance, à la folle tendresse qui m’entraînait vers lui. C’est pour cela qu’il m’a confié ces terribles mémoires. Il cherche à connaître son père, il le connaîtra. »

M. Dale (se méprenant sur la cause du silence d’Harley). J’honore votre repentir, milord. Oh ! laissez parler votre cœur et votre conscience plus haut que votre orgueil.

Harley. Mon repentir ! mon cœur ! ma conscience ! Monsieur Dale, vous m’insultez !

M. Dale (d’un ton sévère). Non, milord, je remplis ma mission, qui m’ordonne de reprendre le pécheur. Léonora Avenel vous parle par ma bouche et commande au père coupable de reconnaître le fils innocent ! »

Harley se leva à demi, ses yeux lançaient littéralement des éclairs, mais il dompta sa colère, qui se tourna en ironie. « Ah ! dit-il avec un sourire sarcastique, ainsi vous supposez que j’ai été le perfide séducteur de Léonora Avenel, que je suis le père endurci de l’enfant qui est venu au monde sans avoir de nom. Très-bien, monsieur. En admettant tout ceci comme certain, que me demandez-vous pour ce jeune homme ?

— Je vous demande son bonheur, reprit M. Dale avec un accent suppliant, et cédant à la compassion que lui inspirait Léonard. Désireux de son succès, comme vous pouvez le croire, continua le curé, j’ai attendu en dehors de la grille qu’il eût quitté miss Digby. Oh ! milord, si vous aviez vu sa figure ! c’était une émotion si poignante et un si profond désespoir ! Je n’ai pu savoir de lui ce qui s’était passé, il m’a échappé et s’est enfui. Tout ce que j’ai pu conclure des quelques mots que je lui ai arrachés, c’est que l’obstacle à son bonheur ne vient pas d’Hélène, mais de vous-même, milord, m’a-t-il semblé. C’est pourquoi, lorsqu’il a été hors de ma vue, j’ai pris courage et je suis venu vous trouver. S’il est votre fils et qu’Hélène Digby soit votre pupille, elle-même orpheline et dépendante de vos bontés, pourquoi les sépareriez-vous ? Ils sont du même âge, ils ont été unis dès l’enfance, ils ont tous deux des habitudes simples et des goûts élevés, rien ne peut s’opposer à leur union que le manque de fortune ? Et votre fortune est immense et personne n’a jamais mis en doute votre générosité. Milord, milord, votre regard me glace. Si je vous ai offensé, que cette offense ne retombe pas sur Léonard.

— Ainsi donc, fit Harley, contenant encore sa rage, ce jeune homme que, comme vous le disiez, j’ai sauvé du gouffre qui a englouti tant de nobles génies, il m’en récompense en cherchant à m’enlever la dernière affection qui me reste en ce monde. Il ose lever les yeux jusqu’à ma fiancée ! Lui ! et pour ce que j’en sais me dérobe son cœur et ne me laisse que sa main glacée !

— Oh ! milord, votre fiancée ! Je n’avais jamais rêvé cela ! J’implore votre pardon. La seule pensée en est terrible, contre nature, le fils aimer la fiancée du père ! Oh ! dans quelle faute je suis tombé !