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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 2.djvu/298

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et naturel. Ses manières avec Egerton la rassurèrent davantage encore ; elles n’étaient pas marquées par une exagération de familiarité ou d’amitié qui eût sur-le-champ excité en elle la crainte de quelque sinistre projet, elles ne trahissaient pas non plus par des sarcasmes déguisés, un ressentiment mal contenu. C’étaient les manières naturelles d’un homme ayant reçu d’un ami intime une injure qu’il est résolu à oublier par générosité, mais dont l’affection s’est beaucoup refroidie.

Harley avait un prétexte naturel pour s’éloigner d’Egerton, qui fatigué et malade, alléguait l’état de sa santé pour se dispenser des visites et des sollicitations, et passait la plus grande partie de son temps dans ses appartements, abandonnant les préparatifs de la lutte à ses amis plus actifs. Ce ne fut que lors de son arrivée à Lansmere qu’Audley apprit le nom de son principal compétiteur. Richard Avenel ! le frère de Nora, sortant de son obscurité pour le combattre de front dans une lutte dont dépendait sa destinée tout entière ! Egerton consterné crut voir en lui un vengeur prédestiné. Il eût voulu abandonner le champ de bataille, il en parla à Harley.

« Comment, lui dit-il, pouvez-vous supporter tous les souvenirs pénibles qu’évoque le seul nom de mon antagoniste ?

— Ne m’avez-vous pas dit de lutter contre ces souvenirs, de les traiter comme des rêves maladifs ? Je suis prêt à les braver. Y êtes-vous donc plus sensible que moi ? »

Egerton n’osa en dire davantage ; il évita au contraire toute nouvelle allusion à ce sujet. Le combat s’engagea autour de lui, et il se tint enfermé dans la solitude de son propre cœur. Il y avait là assez de luttes. Il s’échappa un soir pour se rendre au tombeau de Nora. Il y resta longtemps, dans une profonde méditation. Toute sa vie passée sembla se dresser devant lui, et lorsqu’il regagna sa chambre solitaire et s’efforça d’envisager l’avenir, il ne put encore voir que ce passé et cette tombe.

En refusant ainsi de prendre une part active à son élection, Audley avait pour excuse aux yeux de ses amis, non-seulement, sa mauvaise santé, mais encore le sentiment de sa propre dignité. On devait épargner à un homme d’État si éminent, dont les opinions étaient si connues, les services si incontestés, ces démarches personnelles auxquelles sont tenus les candidats obscurs. Et en outre, selon le bruit général, et le rapport du comité bleu, la nomination de M. Egerton n’était pas douteuse. Mais Harley et le comité bleu, tandis qu’ils traitaient Audley avec tant d’indulgence, infligeaient double tâche à Randal. Cet esprit actif trouvait ample matière pour son énergie inquiète. Randal Leslie était impitoyablement tenu sur ses jambes du matin au soir. Il n’existe pas dans les trois royaumes de bourg plus fatigant pour un candidat que celui de Lansmere. En quittant la Grande-Rue où, selon un usage immémorial, le candidat bleu est d’abord conduit, dans le but de lui faire prendre courage pour les travaux qui l’attendent (délectable, propice, constitutionnelle Grande-Rue, dans laquelle les deux tiers au moins des électeurs, riches